À Ouidah, cité historique du Bénin, la forêt sacrée de Kpassè, à la fois espace naturel préservé, musée à ciel ouvert et lieu de culte, attire chaque année de nombreux visiteurs. Dès l’entrée, une atmosphère à la fois paisible et mystique s’impose. L’air y est chargé d’humidité, mêlé d’odeurs de terre et de feuilles mortes. Les rayons du soleil filtrent à travers les arbres. Et parmi ces arbres, un retient une attention particulière.
La légende raconte que le roi Kpassè, deuxième souverain du royaume houéda (ancien nom de Ouidah) au XVIIᵉ siècle, n’est pas mort comme les autres hommes. Un jour, il aurait mystérieusement disparu pour réapparaître sous la forme d’un grand iroko, au cœur de la forêt. Cet arbre, baptisé « Kpassèloko », est aujourd’hui encore vénéré comme la matérialisation de son esprit. Son tronc, immense, est ceint d’un drap blanc, plein de taches. Des offrandes y sont régulièrement déposées, les jours de marché, pour honorer la mémoire du fondateur de la cité.
Tolègba, gardien des carrefours
Dans ce grand musée à ciel ouvert, une statue attire immédiatement le regard : celle de Tolègba, dieu des carrefours et messager des autres divinités. Sa présence est saisissante. Ses cornes imposantes se dressent fièrement, tandis qu’un énorme sexe symbolise sa puissance créatrice. Car, oui, il est également le dieu de la fertilité et de la vitalité.
Sakpatasi, Hêviosso
Toujours dans cette partie de la forêt qui fait office de musée, trône la sculpture de Sakpatasi, femme de Sakpata, qui est la divinité de la Terre et des maladies. Elle est représentée, seins à l’air, un pagne noué à la hanche.
La forêt de Kpassè est un panthéon à ciel ouvert. Chaque divinité y a sa représentation, souvent monumentale, parée de couleurs vives et de matériaux locaux. L’œil s’attarde sur Hêviosso, dieu du tonnerre. Une tête de buffle avec quatre grandes cornes, une flèche entre les dents. Il est vêtu d’un short vert et d’un haut, deux énormes épées dans chaque main.
Non loin de là, le « génie » version vodoun, à l’allure métallique : un corps en forme de chaudron, une tête ronde traversée par un tube courbé.
Une autre des statues qui retient l’attention est celle du devin adoptant la posture du penseur. Assis, devant lui, des cauris. L’histoire raconte que les cauris annonçaient la mort du roi. Personne ne devait dire au roi qu’il devait mourir, sinon il serait exécuté. Mais s’il ne le disait pas et que le roi mourait, le devin serait exécuté pour manquement à sa tâche. Son allure pensive est donc représentée. Comment annoncer la nouvelle ? L’histoire raconte qu’il fit donc preuve de sagesse et dit un proverbe que le roi allait lui-même interpréter.
Entre nature et sacré
Le culte vodoun, originaire du royaume du Dahomey au XVIᵉ siècle, reste au cœur de la vie religieuse à Ouidah. La forêt sacrée de Kpassè, aujourd’hui réduite à huit hectares contre vingt à l’origine, subit la pression de l’urbanisation. Ses gardiens et les jeunes de la ville se mobilisent pour la préserver.
Entouré de murs, le site se divise en deux espaces : l’un, accessible aux visiteurs, se découvre avec un guide ; l’autre, fermé aux non-initiés, est réservé aux cérémonies secrètes. Une grande porte sculptée, en forme de grotte, marque la frontière entre ces deux mondes. A gauche, le passage des hommes ; à droite, celui des femmes. Et devant la porte, une statue d’un serpent arc-en-ciel qui se mord la queue, représentation de la roue de la vie.
Ne jamais demander le mal
Chaque année, au moment du nouvel an lunaire, des cérémonies dites Epé Ekpé s’y déroulent sous la direction des grands prêtres. Danses, purifications, divinations et sacrifices rythment la célébration. Les tambours résonnent, les chants montent, les corps se balancent dans une ferveur qui unit les vivants aux ancêtres.
Avant de formuler un vœu à une divinité, les guides rappellent une règle essentielle : ne jamais demander le mal. Toute pensée négative se retournerait contre son auteur. Ici, le respect du sacré est la condition de l’harmonie.
Pour les habitants de Ouidah, la forêt de Kpassè reste un repère spirituel majeur : un espace où la nature, l’histoire et le sacré se mêlent intimement. Entre les racines du grand iroko et les sculptures des dieux, le visiteur ressent ce lien invisible entre passé et présent, visible et invisible. Un lieu où les dieux du vodoun ne dorment jamais.
Claude Éboulé