La nomination du général Zafisambo en tant que Premier ministre constitue une ultime tentative d’Andry Rajoelina pour rester au pouvoir, après les coups de boutoir que la Gen Z Madagascar lui assène depuis presque deux semaines. La puissance inattendue de ce mouvement a obligé le Chef de l’État à limoger le Gouvernement après juste quatre jours de manifestations, ce qui représente pour lui un recul inédit face à la rue. À deux reprises, lors d’interventions télévisées, il a même demandé pardon pour les erreurs de gouvernance, et a promis de rectifier le tir. Le nom du nouveau chef de gouvernement a-t-il le potentiel pour calmer la rue, restaurer la confiance et rétablir le contrat social ?
Cette question se pose avec légitimité. À un moment où l’on se serait attendu à une logique d’apaisement, Andry Rajoelina a choisi de durcir son message en choisissant un officier général, ce qui laisse supposer un renforcement de la répression contre les manifestants à partir de maintenant.
Zafisambo empêchera-t-il Rajoelina de couler ?
La nomination d’un militaire haut gradé a souvent été un choix des dirigeants malgaches en période de tension politique, afin de projeter cette image de fermeté, mais aussi pour courtiser les forces armées. L’expérience malgache et internationale a toutefois démontré le caractère illusoire de l’argument de la force, lorsque l’on ne dispose pas de la force des arguments. La valeur ajoutée de la nomination d’un général en termes de stabilité à moyen et long-terme était loin d’être évidente dans le cas du général Ramahatra envers Didier Ratsiraka, du général Rabemananjara envers Marc Ravalomanana, du général Camille Vital envers Andry Rajoelina, ou encore du général Ravelonarivo envers Hery Rajaonarimampianina. On verra sans doute très rapidement si cette nomination est pour le régime un coup gagnant ou perdant dans ses efforts désespérés pour rester au pouvoir. L’on note en tout cas que si les parlementaires proches du régime étaient présents au palais lors de l’annonce de la nomination du nouveau Premier ministre, la hiérarchie militaire ne l’était pas.
Espérer renforcer la répression est donc un pari hasardeux dans le contexte, et l’on verra comment il sera accueilli par la rue. Toutefois, a priori, cela est très éloigné de ce qui est attendu par les manifestants dont le but affiché est de toutes façons le départ de Rajoelina. On peut comprendre qu’une telle demande n’allait pas obtenir de satisfaction, du moins pas de manière immédiate et volontaire. Mais choisir délibérément un Premier ministre que l’on sait pertinemment ne pas être en mesure de satisfaire les revendications sera perçu comme une provocation, et sera accueilli comme tel.
Manque de maturité
En fait, les deux dernières interventions télévisées d’Andry Rajoelina ont mis en lumière un chef de l’État déconnecté de la réalité de la crise politique actuelle. Alors que la rue exprime clairement son ras-le-bol des conditions sociales (délestages d’eau et d’électricité) et politiques (répression des opinions contradictoires), les éléments de langage du Président continuent de tourner autour de thématiques qui n’avaient pas convaincu depuis des années : le Gouvernement fournit des efforts, les solutions sont en cours, la population doit faire preuve de patience, c’est le ministre en charge qui a traîné dans la mise en œuvre des solutions aux délestages, l’opinion de ceux qui ne sont pas contents est manipulée (par les politiciens de l’opposition non patriotes, des intérêts étrangers etc.). En cherchant systématiquement des boucs émissaires tout en revendiquant pour sa seule personne les improbables succès à venir, Andry Rajoelina affiche un manque de maturité en refusant de constater que la première source des problèmes, c’est lui. Apparemment, il n’a pas compris hier : il comprendra sans doute plus tard.
Les citoyens malgaches sont donc échaudés par ses engagements et autres velirano qui lui ont fait perdre toute crédibilité. Même son annonce de ne pas vouloir se présenter à un troisième mandat, alors que les rumeurs d’avant le 25 septembre bruissaient de ses velléités de modifier la Constitution pour en avoir la possibilité, n’a eu aucun effet apaisant : les Malgaches se souviennent qu’en 2013, il avait promis trois fois de suite qu’il ne se présenterait pas à l’élection présidentielle, avant de déposer sa candidature, qui plus est après la date-limite. Par expérience, on sait donc ce que valent les promesses d’Andry Rajoelina.
Facteur aggravant, celui-ci a sorti vendredi des explications lunaires qui ont généré beaucoup de questions sur les réseaux sociaux quant à son état mental : le discours présentait une argumentation décousue et accusait des robots informatiques manipulés de l’extérieur d’avoir créé le mécontentement. L’utilisation par la Gen Z des réseaux sociaux numériques pour communiquer est une évidence, et c’est la caractéristique même de cette génération. Mais jusqu’à preuve du contraire, inventer des histoires de cyber-attaque relève plus du délire paranoïaque que de faits, et démontre une dénégation des frustrations à l’origine de la crise.
Il semble donc que la perception de la situation par Andry Rajoelina soit erronée. Nous lui présentons donc ci-après un résumé de ce que les citoyens malgaches lui reprochent principalement. Certes, il a présenté ses excuses et même demandé pardon, ce qui est quand même méritoire pour quelqu’un aussi imbu de lui, mais l’on est en droit de se demander s’il s’agit là d’une contrition stratégique ou d’un repentir sincère. Depuis 2009, en tenant compte de la parenthèse Rajaonarimampianina (2014-2018), Rajoelina et son clan ont fait œuvre d’arrogance, voire d’autisme politique en étant incapables de prêter attention à tout message autre que les vivats provenant du même bord qu’eux. Les voix critiques ont systématiquement été réprimées à coups d’emprisonnement ou de gaz lacrymogène.
• Atteintes à la démocratie : pratique des fraudes électorales, répression des voix discordantes. • Atteintes à l’État de Droit : impunité des copains et des coquins (affaires Imbiky, Romy, écrans plats, SMMC etc.). • Non-performance : manque de performance dans les services de base (Jirama, routes, sécurité etc.), gaspillage des deniers publics dans des infrastructures ne correspondant pas aux besoins prioritaires de la population (Colisée, téléphérique, stade Barea etc.). • Propensions au mensonge et au superficiel : promesses rarement tenues mais répétées de manière récurrente, werawera, manque de réalisme sur son assise véritable alimenté par des foules artificielles et des titres frivoles de « champion ».
Ndimby A., Patrick A.