Réuni en congrès le 3 courant, le Parlementent tchadien a entériné le projet de loi révisant la Constitution du 23 décembre 2023.
Quoi de plus normal qu’un pays révise sa loi fondamentale, qui plus est à une large majorité de ses parlementaires ? Le hic, c’est que l’ancienne Constitution a été adoptée il y a moins de 2 ans et qu’en lieu et place « des aménagements techniques » annoncés par le gouvernement, il s’agit d’une réforme d’importance qui aurait mérité un référendum et le passage à une autre République. Mais nous sommes au Tchad et au–delà, en Afrique pour ne pas dire sous les tropiques, où à l’école de la gouvernance, nos jeunes Etats sont encore et toujours affectés par les poussées de fièvre de leurs dents de lait. Ils sont toujours à la recherche de modèles de gouvernance pertinents, à l’aune de leur histoire, de leur sociologie et même du contexte géopolitique mondial. Beaucoup balbutient alors la démocratie, entre le copier-coller des Constitutions importées et les jongleries de constituants-couturiers à tailler des costumes sur mesure à des hommes forts, pas toujours à même de bâtir des institutions fortes.
Dans la situation du Tchad, la volonté des partisans du président Mahamat Deby Itno de lui tailler un uniforme de maréchal-président à vie est si visible qu’elle est assimilable à ce que les Afro pessimistes appellent des africaneries, comprises comme des arrangements à mille lieues des principes universels de la démocratie libérale que nous nous évertuons à singer.
Ainsi, parmi les exposés de motifs faits par le gouvernement, soutenus par la commission parlementaire saisie au fond du projet de révision de la Constitution, il y a les idées de donner aux institutions républicaines tchadiennes plus de stabilité, au président de la république un plus grand rôle d’acteur que d’arbitre du jeu politique, penser à un rééquilibrage des hautes fonctions de l’Etat selon les grandes régions du pays, éviter les élections rapprochées et donner plus de temps aux élus pour mettre en œuvre leur programme…
Ces motifs ne sont pas dépourvus de bonnes intentions, c’est dans leur rendu en loi fondamentale que le bât blesse. En effet, si cette nouvelle Constitution est promulguée, le Tchad passera d’un mandat présidentiel de 5 ans renouvelable une fois à un septennat sans limitation du nombre de mandats. Députés, sénateurs, conseillers régionaux seront désormais élus pour 6 et non plus pour 5 ans ; un poste de vice-Premier ministre sera créé, les ministres auront droit à une trêve estivale, c’est-à-dire un congé payé pris au même moment…
Si cette nouvelle Constitution est promulguée, Mahamat Idriss Deby et ses partisans pourront se frotter les mains. Ce ne sera ni plus ni moins qu’un pouvoir à vie statutaire qui lui aura été donné in limine litis, les exceptions sur la procédure, le recours à un référendum par exemple, demandé par des députés de l’opposition n’ayant pas prospéré. Les élus peuvent, eux aussi, déjà saliver sur le prolongement de leur mandat et les ministres sur leurs vacances payées.
A l’inverse, les opposants, les démocrates du Tchad et d’ailleurs qui rêvaient d’alternance, doivent se réveiller. Deby Itno fils est sur les traces de son père. Maintenant que la loi l’y autorise, il ne prendra pas sa retraite politique de sitôt. Par ailleurs, on rappellera aux constituants tchadiens que se soucier de la stabilité des institutions est une bonne chose, mais quid des droits sociaux, économiques et culturels des populations comme l’accès à l’éducation, à la formation professionnelle, la protection de l’environnement, l’accès des populations rurales à l’administration par la décentralisation et la déconcentration de l’Etat ? Autant de choses qui, coulées dans le marbre d’une Constitution, sont plus à même de garantir la stabilité des institutions qu’une trêve estivale pour ministres et des prolongements de mandats à d’autres thuréféraires du système.