« Parents, aidez-nous à cause de Dieu ». Il est fréquent d’entendre ces propos lors des enterrements dans les cimetières municipaux d’Abidjan. C’est une doléance formulée à l’endroit des parents par de jeunes fossoyeurs. Ils creusent les tombes. Ils les nettoient également. Leur service n’est pas gratuit.
« Il sont rapides à creuser les fosses. Avant, c’était les parents du défunt qui creusaient. On pouvait passer des heures à l’enterrement. Mais depuis plusieurs années, on constate que ce sont ces jeunes qui font le travail. En retour, ils demandent de l’argent. Ce n’est rien, c’est normal », affirme Ismail. Mais, A. B. lui, est plutôt critique. « Je n’ai pas confiance en eux. Il faut se méfier d’eux. Leur attitude démontre qu’ils sont des drogués mendiants. On ne les oblige pas à faire les fosses, on n’est pas aussi obligé de leur donner de l’argent ».
Mais, d’où viennent ces jeunes ? Sont-ils reconnus par les services administratifs des mairies qui gèrent les cimetières ? Pour le savoir, nous nous rendons au cimetière de Koumassi. L’entrée franchie, nous sommes suivis par deux jeunes. L’un a une pelle, l’autre a un balai. « Bonjour frère. On peut vous aider ? », interroge l’un d’entre eux. « Oui, je viens visiter la tombe d’un parent », avons-nous répondu. « Il est décédé en quelle année ? Où a-t-il été enterré? Quel est son nom ? ». Bref, on est submergé par toutes ces questions en une minute.
Pour la forme, nous leur indiquons un lieu et une année. Tout de suite, ils prennent le devant. En chemin, deux autres jeunes nous rejoignent. Les deux premiers n’apprécient pas. « Qu’est ce qu’il y a ? Le cimetière est grand. On ne va pas tous se suivre pour un même endroit », se plaint l’un des premiers arrivés. Il reçoit la réplique suivante : « Tu ne peux rien créer. Nous suivons le grand frère ». A notre demande, ils se sont calmés. Après quelques instants, la recherche est infructueuse. Lorsque nous décidons de prendre le contact de l’un d’entre eux, pour revenir prochainement, la dispute reprend. Avec un billet de 2 000 francs CFA à partager entre quatre, nous avons mis fin à la palabre.
« Nous ne les connaissons pas »
L’un d’entre eux nous accompagne à la sortie. Lui, c’est un doyen. Il exerce dans le cimetière depuis 1987. « Ceux là, ce sont des enfants. Ils ne connaissent rien. Ça fait 38 ans que je suis ici. J’ai été maçon. J’ai tout laissé pour venir travailler ici pour Dieu. J’ai un agrément de l’administration. Ils me connaissent. Prenez mon numéro. Appelez-moi, je vais retrouver la tombe. Si vous voulez nettoyer ou refaire le tombeau, je peux le faire sans problème », nous rassure-t-il.
Dès qu’il s’est retourné, nous nous sommes dirigés vers l’administration du cimetière pour demander si on peut confier des travaux aux fossoyeurs. Une dame à l’accueil est claire. « Ne vous fiez pas à ces jeunes là. Nous ne les connaissons pas. Vous pouvez les solliciter pour nettoyer une tombe, mais pas plus. Plusieurs personnes sont venues se plaindre qu’ils ont pris leur argent, sans faire le travail qui leur était demandé. On a six maçons fiables ici qui travaillent bien. Si vous êtes prêts, venez. Ils iront voir la tombe et on va en discuter », nous explique-t-elle.
Pas de passages entre les sépultures
Au cimetière de Koumassi, il est difficile d’affirmer qu’il y a de la place pour inhumer. Il n’y a pas d’espace ni de passage entre les sépultures. Toutes les allées ont été occupées par les tombes. On pourrait dire que ce cimetière est plein. « Tu es obligé de sauter sur les tombes, alors que cela est interdit par l’islam », nous affirme un parent musulman.
Rejoindre la tombe d’un défunt est un véritable parcours du combattant. C’est pareil pour une inhumation. « Pour aller faire un enterrement ou une prière mortuaire, vous allez marcher sur des tombes pour aller vous arrêter sur une tombe. Tout est tombe ici, dit-il. Malgré cela, le cimetière continue de recevoir des corps officiellement et officieusement. « Pouvez-vous nous aider à faire l’enterrement d’un enfant sans passer par la voie normale », avons-nous interrogé discrètement un fossoyeur. « Oui, la nuit. Appelez-moi, je vais gérer ça », nous confirme-il. Nous avons compris que tout est possible, même l’obtention d’un organe humain.
C’est pareil, au cimetière de Williamsville dans la commune d’Adjamé. Là bas, les choses sont plus organisées qu’à Koumassi. « Officiellement, on n’y enterre plus. Ceux qui viennent enterrer ici, c’est qu’ils ont une parcelle familiale », nous explique K. I., un maçon. Il construit des tombeaux. Il connaît bien l’intérieur du cimetière. Il y a vraiment du monde ici, tout comme dans le cimetière d’Abobo.
Dans ces cimetières, on ne trouve pas que des fossoyeurs ou des maçons. Il y a des jeunes qui lavent les caveaux, des femmes qui vendent des beignets et sucreries et des mendiants qui viennent prier avec vous sur un tombeau pour espérer recevoir un sacrifice pécuniaire. Il y a également des délinquants. Ils dorment sur les tombes et fument de la drogue. Dans les cimetières à Abidjan, on aura tout vu.
Mouhamed I. Koné