Ouidah, ville historique du Bénin, fascine autant qu’elle intrigue. Parmi ses trésors culturels et religieux, le temple des pythons attire chaque année des milliers de visiteurs, entre curiosité, crainte et émerveillement. Notre envoyée spéciale l’a visité.
Carrefour d’histoire, de croyances et de traditions, Ouidah est l’un des lieux les plus symboliques du. Bénin. Lieu de mémoire de la traite négrière, elle est aussi une cité de spiritualité où se mêlent rites et héritages séculaires. Ici, le python royal n’est pas seulement un animal sacré, il est une divinité, une présence vivante au cœur de la ville.
Le python Dangbé
Le temple des pythons existe depuis le XIIIᵉ siècle. On y vénère le python royal, un serpent inoffensif, sans venin et qui ne mord pas. « Ceux qui vénèrent les pythons sont les Houéda. Traditionnellement, ils portaient deux traits de scarification au niveau de chaque tempe et sur chaque joue. Ces marques étaient faites trois mois après la naissance. Mais de nos jours, cela ne se pratique plus de façon systématique. Certains Houéda n’ont plus de scarifications », explique Emmanuel Ahounou, guide du temple. Aujourd’hui, les initiés peuvent même « acheter » symboliquement ces scarifications auprès de la divinité. Un rituel est alors réalisé et l’appartenance est reconnue, sans qu’il soit nécessaire de marquer le visage.
L’iroko, arbre sacré
Dans l’enceinte du temple, se dresse un iroko, arbre sacré vénéré mort ou vivant. Pour les fidèles, il abrite l’esprit des divinités et des ancêtres. Les jours de marché, on lui apporte des offrandes : farine de maïs mélangée à de l’huile rouge, boissons sucrées, eau. Les visiteurs peuvent également y former des vœux. Mais attention, rappelle Emmanuel Ahounou, « il ne faut demander que des choses positives. Si l’on fait un vœu négatif, il se retourne contre soi ».
Le sanctuaire vodoun
Toujours dans le temple, se trouve un sanctuaire vodoun datant du XVIIIᵉ siècle. Sa structure a été rénovée lors du festival Ouidah 92, un événement qui a donné une nouvelle visibilité au vodoun béninois. C’est à cette occasion que des piliers et un toit ont été ajoutés pour protéger la case sacrée. Aujourd’hui, le lieu est classé au patrimoine de l’UNESCO.
Le sanctuaire ouvre uniquement les jours du marché de Ouidah et ceux du marché Dantopka de Cotonou, le plus grand du pays. À l’intérieur, une pierre incarne l’esprit de la divinité python. C’est là que se tiennent les cérémonies et les consultations. Mais les serpents eux, ne vivent pas dans cette case. L’entrée est soumise à des interdits : ne pas porter de chapeau ni de chaussures, et les femmes en période de menstruation n’y sont pas admises.
La purification de la ville
Tous les sept ans, une cérémonie unique a lieu : la purification de la ville de Ouidah. Une jarre sacrée, retournée depuis plus de deux siècles, est alors utilisée. Elle est confiée à la prêtresse du temple qui choisit 41 filles vierges chargées d’aller puiser de l’eau au marigot. L’eau, versée dans la jarre et mélangée à des feuilles sacrées, devient une eau de purification utilisée par les prêtres vodoun de différents sanctuaires. Elle sert à purifier le temple et la ville tout entière.
Lorsque la jarre est vide, elle est replacée exactement à sa position initiale et attend le prochain cycle, sept ans plus tard. La dernière cérémonie a eu lieu en octobre 2024. La prochaine est prévue pour octobre 2031. Les femmes ménopausées peuvent également participer à ce rituel, en dehors des vierges.
Une centaine de pythons qui se nourrissent une fois par mois
Dans le temple même, une centaine de pythons cohabitent. Leur rythme de vie est lent. Ils se nourrissent une fois par mois, leur digestion prenant trois à quatre semaines. Leur alimentation se compose de rongeurs et de poussins. Dans la pièce où ils se trouvent, les serpents se regroupent entre eux pour se donner de la chaleur. Pour s’en approcher, on passe par un escalier d’un côté et l’on ressort par un autre. Mais attention : s’il y a un python devant vous, il ne faut point l’enjamber. Cela porte malheur. Avant de toucher la divinité, il est aussi indispensable de se purifier. Sinon, c’est à vos risques et périls.
Autrefois, pour nourrir les pythons, on ouvrait les portes du temple et les serpents se dispersaient dans la ville. Mais avec le développement urbain, cette pratique a été abandonnée. Emmanuel Ahounou explique que « certains serpents étaient écrasés par des voitures. Aujourd’hui, on les nourrit directement à l’intérieur pour éviter les accidents ».
Les pythons ont leur cimetière
Les pythons ont leur cimetière où ils sont enterrés après leur mort, qu’elle soit due à la vieillesse, à la maladie ou à un accident. Avant de toucher un python, les visiteurs doivent se purifier avec de l’hysope, une plante utilisée pour se frotter les mains et éliminer toute impureté.
Le temple abrite également la divinité Ogou (Ferraille), protectrice du fer et des guerriers. Contrairement à d’autres divinités vodoun, Ogou n’accepte pas certaines offrandes : ni poudre à canon, ni alcool, ni piment.
Lieu de croyances et de mémoire
Le temple attire de nombreux curieux venus d’Afrique et d’ailleurs. Entre peur et émerveillement, les réactions sont partagées. Une touriste camerounaise confie, « Je me sens un peu effrayée. Tout ça me paraît bizarre. Le lieu m’intimide. J’étais curieuse de venir, ma sœur était déjà passée ici, j’ai voulu essayer… mais je reste un peu effrayée ». Ali Kassimbou lui, exprime un sentiment contraire « C’est la première fois pour moi de voir un serpent de mes propres yeux. C’est inoubliable. J’apprécie vraiment l’expérience ».
Au-delà des serpents, le temple des pythons de Ouidah est un symbole de la rencontre entre histoire et spiritualité. Il témoigne d’une tradition qui a traversé les siècles, qui s’est adaptée aux réalités modernes tout en conservant ses rituels. Dans cette ville qui fut l’un des principaux ports de la traite négrière, la spiritualité reste une manière de se relier au passé, aux ancêtres, et de donner un sens au présent. Le temple, entre curiosité touristique et lieu sacré, incarne cette double identité. Comme le résume Emmanuel Ahounou :« Le python est un symbole de protection. Il ne fait de mal à personne, mais il rappelle aux habitants de Ouidah que la tradition est toujours vivante ».
Claude Eboulé
Envoyée spéciale à Ouidah