Ce sont les vacances. Si certaines familles restent dans leur domicile ou choisissent une destination à l’étranger, d’autres profitent de cette période pour quitter la capitale et prendre la route vers les villes de l’intérieur du pays. Korhogo, Daloa, San Pedro, Issia, autant de destinations qui attirent chaque année de nombreuses familles ivoiriennes. Mais derrière ces déplacements familiaux, se dessinent des réalités culturelles, éducatives et économiques.
À la gare d’ Adjamé, les moteurs vrombissent, les appels au départ se font, les passagers se bousculent entre les vendeurs ambulants et les bagagistes. Chaque jour, des centaines de personnes embarquent vers l’intérieur du pays. Derrière ces voyages, il y a des projets familiaux, des retrouvailles, des découvertes. Ces vacances, souvent organisées avec soin, sont aussi des moments d’éducation, de transmission, de retour aux racines. Car pour beaucoup, partir au village ou visiter une autre ville ivoirienne est un choix conscient, un acte de culture et d’ancrage identitaire.
« Elle doit connaître son pays »
Ce matin-là, au milieu de la foule, M. Amanguoi, accompagné de sa femme et de leur fille, sont dans la file pour prendre place à bord d’un car à destination de San Pedro. Ce n’est pas la première fois qu’il s’y rend, mais cette fois, c’est pour faire découvrir la ville à sa fille adolescente.
« Elle est Ivoirienne. Elle doit connaître son pays. Elle doit visiter les villes de chez elle », affirme-t-il avec conviction. « Tout le monde veut partir à l’étranger, mais quand tu demandes à un jeune s’il connaît Songon, Bonoua, Dabou ou Issia… rien. Les parents doivent faire découvrir les villes aux enfants. C’est leur pays ».
Un peu plus loin, M. Coulibaly Ibrahim s’apprête à embarquer avec ses deux fils pour Korhogo, leur ville natale. « Le grand a 9 ans, le petit 7 ans. On va voir leur grand-mère. C’est là-bas que moi j’a grandi, et je veux qu’ils sachent d’où ils viennent », explique-t-il. Pour lui, ces voyages ne sont pas de simples vacances, mais une manière de transmettre l’histoire familiale. « Ils doivent connaître leur origine, entendre les histoires de la famille, voir les lieux. Ça ne s’apprend pas à l’école » ajoute-t-il
« C’est moins cher… »
Mais pour d’autres familles, ces voyages sont avant tout l’occasion de se retrouver, de changer d’air, à moindre coût. Assise sur les chaises d’attente avec ses deux enfants, Mme Koffi, mère de famille, attend son car pour San Pedro. Elle explique : « Nous aussi, on va en vacances. Mais on n’a pas les moyens d’aller à l’étranger. Ici, c’est moins cher, et on est ensemble. Les enfants veulent aller à la plage, ils adorent ça ».
Pour ces familles, les villes côtières, comme San Pedro, Sassandra ou Grand-Bassam, sont de plus en plus prisées. On y va pour les plages, l’ambiance plus calme, les retrouvailles avec des proches. Contrairement à ce qu’on avait jusqu’ici constaté, voyager à l’intérieur du pays est devenu une alternative accessible et attractive pour passer les vacances.
Des prix abordables
Les tarifs pratiqués dans les gares permettent à de nombreuses familles de programmer un départ, même modeste. À Yopougon, la Société Bonkongou Transport de l’Agneby (SBTA) par exemple, propose des tickets à 2 500 FCFA pour Divo, 5 000 FCFA pour Issia, 6 100 FCFA pour Daloa, et 6 600 FCFA pour San Pedro. La Compagnie Union des Transports de Bouaké (UTB), autre transporteur majeur, affiche des prix allant de 5 000 à 8 000 FCFA selon la destination.
Ces coûts, relativement bas face au prix du billet d’avion ou même à une location de voiture, encouragent de nombreux ménages à voyager à l’intérieur du pays. D’autant que ces dernières années, l’expérience de voyage s’est nettement améliorée, notamment grâce aux travaux d’infrastructures routières réalisés dans plusieurs zones du territoire.
Des routes longtemps redoutées
Il y a encore quelques années, certains de ces trajets étaient considérés comme pénibles, voire périlleux. Les routes dégradées, les longues heures de voyage, les pannes à répétition dissuadaient bien des familles. Certaines destinations comme San Pedro étaient presque inaccessibles pendant la saison des pluies. « Pour aller à San Pedro, on pouvait mettre toute une journée. Et encore, quand on arrivait, le mal de dos allait nous tuer. », se souvient un chauffeur de car.
Aujourd’hui, la situation a changé. Des efforts ont été faits sur le réseau routier. La route de la côtière, reliant Abidjan à San Pedro via Dabou, Grand-Lahou et Sassandra, a été entièrement réhabilitée. Ce tronçon, autrefois cahotique, est désormais praticable en 5 à 6 heures, dans des conditions de sécurité et de confort appréciables.
En Côte d’Ivoire, l’amélioration des infrastructures routières constitue un axe majeur de développement, notamment pour faciliter les déplacements vers l’intérieur du pays. Selon les informations de l’Agence de gestion des routes (AGEROUTE), plusieurs projets d’envergure ont été lancés ou achevés. Parmi les plus emblématiques, figurent l’élargissement et la modernisation de l’autoroute du Nord, reliant Abidjan à Yamoussoukro, sur plus de 230 kilomètres. Cet axe stratégique a été renforcé pour fluidifier la circulation, réduire les accidents et soutenir les échanges commerciaux. Vers l’Ouest, la réhabilitation de la route Abidjan–San Pedro est également en cours, avec des travaux de renforcement des chaussées, la construction de ponts et l’amélioration de la signalisation. À l’Est, le tronçon Abidjan–Abengourou bénéficie également d’un programme de modernisation. Ces efforts s’inscrivent dans le cadre du Programme social du gouvernement (PsGouv), qui vise à désenclaver les régions, réduire les disparités entre zones urbaines et rurales et favoriser la mobilité des populations, notamment pendant les périodes de grande affluence comme les vacances.
Pour de nombreuses familles, ces travaux ont changé la donne. Voyager vers le village natal, rendre visite aux proches, ou simplement découvrir d’autres régions du pays devient plus facile et surtout moins éprouvant. Grâce à ces infrastructures, c’est tout un tissu social, économique et culturel qui se tisse ou se retisse.
Claude Eboulé