À la tête de petites boutiques virtuelles, de jeunes femmes et hommes s’imposent. Vêtements, perruques, box cadeaux, jus naturels ou plats faits maison. Les produits sont proposés à toute heure. Les commandes se passent par messages, les paiements sont effectués via mobile money, les livraisons sont faites à moto. Au bout du fil ou de l'écran, c’est souvent une seule personne qui gère l'ensemble du processus. Sur les réseaux sociaux, notamment dans les groupes WhatsApp ou à travers les lives TikTok, la vente en ligne prend chaque jour un peu plus de l’ampleur en Côte d’Ivoire.
Derrière cette pratique en apparence simple, se déploie une activité exigeante. Organisation rigoureuse, gestion des retards, incertitudes liées aux paiements, fidélisation des clients. Les défis sont multiples. Pourtant, la vente en ligne séduit, attire, et façonne une nouvelle manière de faire du commerce.
« Je livre aussi au Congo »
Dans une chambre de la Riviera Ciad à Abidjan, un téléphone posé sur le lit vibre sans cesse. Irmelle Abou, vendeuse en ligne, y répond depuis plusieurs dizaines de minutes. Commandes, confirmations, relances. Les messages s’enchaînent. « Ce qui me motive, c’est la relation humaine. Même à distance, j’aime satisfaire mes clients, voir leur fidélité grandir », dit-elle sans lever les yeux de l’écran. Depuis quatre ans, elle vend des vêtements divers. Pour elle, cette activité est une manière d’être autonome. « Pouvoir m’offrir ce que je veux sans courir derrière quelqu’un », explique-t-elle.
L’organisation est stricte. Un agenda numérique lui permet de noter chaque commande, de programmer les relances, de suivre les paiements et d’anticiper les expéditions. « Je note les commandes confirmées, je classe les paiements, les livraisons, les expéditions car je livre aussi au Congo. J’ai appris à prioriser les urgences, tout en gardant un bon contact avec chaque client ».
La plus grande difficulté : la confiance
Dans un quartier de Cocody, Maheva Touré, téléphone en main, répertorie les produits qu’elle propose à sa clientèle. Jus de baobab, perruques, habits confectionnés, box de fêtes. La liste varie d’une semaine à l’autre. « J’aimais bien faire de l’entrepreneuriat, avoir une petite activité pour me faire de l’argent », confie-t-elle. La vente a commencé tôt, à travers de petits produits comme des œufs ou du lait, puis s’est élargie au fil du temps. Depuis cette année, elle dit vouloir stabiliser son activité. « J’ai décidé de bien fixer les bases et de ne plus m’arrêter en route ».
La confiance des clients n’a pas toujours été acquise. « Au début, la plus grande difficulté, c’était la confiance », raconte Irmelle. « Certains doutaient de la fiabilité du service ou avaient peur des arnaques ». Pour y remédier, elle mise sur la transparence. Elle fait des vidéos, photos personnelles, stories explicatives à chaque étape. « Je vends ce que je connais ou ce que j’utilise, je donne les vraies infos sur les tailles ou les textures. Je m’engage à livrer ce qui a été commandé ou je propose une alternative claire ».
Arnaques
Maheva, de son côté, admet que la régularité est un point sensible. « Je peux vendre cette semaine, arrêter la semaine prochaine et reprendre. Mais maintenant, j’ai décidé de le faire chaque fois, sans m'arrêter ». Le lien client ne s’arrête pas à la livraison. « Je garde une relation très chaleureuse, je les appelle souvent pour prendre des nouvelles, je prends le temps de les conseiller, et je reste disponible après la vente », ajoute Irmelle. Selon elle, cette proximité crée une fidélité durable, parfois récompensée. « Lorsque le mois est bon, mes revenus peuvent atteindre les 200 000 francs CFA ».
Côté acheteurs, les avis varient. Doumbia Fatimata, esthéticienne, apprécie ce mode d’achat. « J’aime commander en ligne. Des robes, de la nourriture. Je n’aime pas trop sortir, j’aime être dans mon cocon. La vente en ligne est venue comme une bénédiction ». Natalie Lokossou achète principalement via TikTok. « Je regarde les lives, je fais des captures d’écran, j’envoie à la commerçante et je donne ma taille. Quand tout est ok, je fais un dépôt et on me livre. Je n’ai jamais eu de problème. Je pense que j’ai de la chance ».
Mais la méfiance n’est jamais loin. Grâce (nom d’emprunt) a été victime d’une arnaque. « J’ai voulu acheter une perruque à 25 000 F. Le compte avait 15 000 abonnés sur TikTok, donc une certaine notoriété. J’avais confiance. Quand on m’a demandé de verser une avance de 15 000 F, je n’ai pas hésité. Le même soir, on m’a bloquée ».
Beaucoup de problèmes à la livraison
Chez les livreurs, le quotidien n’est pas plus simple. Ibrahim, basé à Abobo, livre tantôt pour son propre compte, tantôt via des plateformes comme Yango ou Glovo. « Généralement, il n’y a pas de problème avec les vendeurs. On va, on prend le colis bien emballé. Mais c’est très souvent à la livraison qu’on rencontre beaucoup de problèmes ». Il évoque des situations où les clients refusent de payer, protestant contre un retard ou réclamant une réduction. « Une fille a même disparu avec l’habit que je lui ai livré. Elle m’avait dit qu’elle voulait juste l’essayer ».
Conseils : « commencer petit, miser sur la qualité… »
Pour Jean-Luc Houédanou, directeur des solutions digitales à la filiale ivoirienne de Big Five Solutions, cabinet de conseil en marketing digital, le commerce en ligne en Côte d’Ivoire est un secteur « en pleine croissance » qui pèse déjà « plus de 280 milliards de francs CFA ». Selon lui, cette dynamique s’explique par « la généralisation des smartphones, l’essor du mobile money, et les difficultés liées à la circulation dans les grandes villes ». Cet expert en commerce électronique précise que les segments les plus actifs sont ceux de « la mode, des produits électroniques, de la beauté et de l’alimentation », mais que d’autres, comme la « livraison de repas ou les services numériques », commencent à s’imposer.
Le commerce en ligne fait face à plusieurs freins, note Jean-Luc Houédanou : « Les clients qui commandent et annulent à la dernière minute, la difficulté d’avoir une logistique abordable, la faible capacité d’investissement de certains vendeurs et le manque de structuration ». Pour lui, il est essentiel d’« instaurer une régulation progressive, adaptée à notre réalité, sans bloquer les initiatives ». Il encourage les jeunes à « commencer petit, miser sur la qualité, bien maîtriser leur communication et créer une communauté fidèle autour de leur marque ». Car « Le e-commerce va évoluer très vite. Ceux qui s’adaptent aux nouvelles règles et aux innovations pourront en vivre ».
Claude Eboulé
ENCADRÉ
Un marché progressivement encadré
Si la pratique du commerce en ligne se généralise, son encadrement juridique reste en construction. En Côte d’Ivoire, la loi n°2013‑546 relative aux transactions électroniques impose aux vendeurs en ligne une obligation de transparence sur les prix, la description des produits et les conditions de livraison.
La loi n°2013‑450 du 19 juin 2013 encadre la protection des données personnelles, notamment contre la prospection abusive ou les traitements non autorisés.
Depuis octobre 2023, la Direction Générale des Impôts impose également une TVA de 18 % sur les ventes en ligne, y compris celles réalisées via des plateformes étrangères.
Une stratégie nationale e-commerce 2024–2028, élaborée avec l’appui de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), vise à mieux formaliser le secteur, renforcer la régulation, structurer les livraisons et améliorer la qualité du service. Des efforts encore insuffisants face à la complexité d’un marché numérique en pleine mutation, mais dont les bases commencent enfin à se solidifier.
C. É.