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L’enquête du jeudi :Côte d’Ivoire. “ Syndicats ” des gares de transport en commun : entre régulation et mafia

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Les rapports entre « syndicats » et chauffeurs de wôrô-wôrô ((taxis collectifs urbains), ont toujours été des plus tendus. Les premiers affirment œuvrer pour la régulation du secteur et la défense des intérêts des conducteurs et des propriétaires de véhicules. Les seconds dénoncent plutôt des pratiques autoritaires, parfois violentes, qui s’apparentent à de l’extorsion organisée. Une fracture visible dans plusieurs gares de la commune de Cocody.

En Côte d’Ivoire, le mot « syndicat » dans le secteur du transport n’a pas tout à fait le même sens qu’ailleurs. Loin des simples structures de défense des droits des travailleurs, ces « syndicats » sont souvent des associations locales, parfois informelles, qui régulent les transports en commun. Ce sont entre autres les taxis, gbaka (minibus), wôrô-wôrô, etc. Les « syndicats » gèrent les gares, organisent les rotations, collectent des cotisations quotidiennes, et imposent des règles aux chauffeurs. Officiellement, leur rôle est d’assurer l’ordre. Mais sur le terrain, beaucoup dénoncent des pratiques brutales et des abus de pouvoir.

Scènes de brutalité et intimidations répétées

Dans un wôrô-wôrô en partance pour le quartier Bellecôte, un quartier de la commune de Cocody, Losseni, chauffeur depuis quatre ans, raconte une mésaventure marquante vécue avec un membre d’un syndicat de transport. « À Djibi Village , ils ont cassé les essuie-glaces d’un collègue. Mais ce n’est pas tout. Là-bas, ils ont aussi blessé un autre chauffeur et brisé son pare-brise », confie-t-il, encore visiblement choqué. Ces actes de violence, selon lui, ne sont pas isolés. La victime a pourtant déposé une plainte. Mais à peine le syndicaliste interpellé, il aurait été relâché dans les heures qui ont suivi. « C’est comme si on les protégeait. L’homme est revenu le lendemain comme si de rien n’était », ajoute Losseni, amer.

Plusieurs conducteurs interrogés évoquent des scènes de brutalité, des intimidations répétées et une pression quotidienne exercée par certains membres de syndicats. Ils parlent de cotisations imposées, de menaces en cas de refus de paiement, et de représailles parfois violentes. « Si tu refuses, ils t'interdisent de travailler », raconte Ahmed, un jeune chauffeur de Cocody. Sur la ligne de Bellecôte par exemple, « chaque chauffeur verse 700 FCFA par jour pour le ticket, en plus de 100 FCFA à chaque chargement », explique Losseni, sans réelle transparence sur l’usage de ces sommes. « On les bloque, ils reviennent un mois après. C’est une sorte de mafia », affirme un passager.

Une gare créée pour désengorger une cité

Du côté des « syndicats », la version diffère. Ils expliquent que l’objectif premier est d’assurer un fonctionnement ordonné des lignes de transport. La gare de la Riviera Palmeraie, par exemple, a été créée il y a trois ans à la demande d’un président de cité, pour désengorger les rues et mieux servir les résidents. Le président de cité est un habitant élu par les résidents d’un quartier ou d’une cité pour les représenter, défendre leurs intérêts et servir de relais entre eux et les autorités locales. « Avant, les wôrô-wôrô se garaient un peu partout. Cela créait des bouchons et nuisait à la circulation », explique un responsable de syndicat. Selon eux, la structure actuelle permet une rotation plus équitable et une recette minimale garantie pour les chauffeurs. 15 000 FCFA par jour, avant de reverser la part due au propriétaire du véhicule. « Et les 200 FCFA qu’on prend à chaque chargement permettent de tenir l’endroit propre, mais aussi de payer les petits qui nous aident à réguler ici », explique l’un des chefs de syndicats.

Un système structuré mais opaque

À Cocody, le transport communal est structuré autour de vingt syndicats. Dix syndicats patronaux, qui défendent les intérêts des propriétaires de véhicules, et dix syndicats de chauffeurs, chargés de représenter les conducteurs. L’objectif est que chaque partie, propriétaire comme chauffeur, puisse trouver un juste équilibre dans le partage des revenus.

Pour limiter les conflits, un système de rotation a été instauré. Chaque jour, un binôme formé d’un syndicat patronal et d’un syndicat de chauffeurs assure la gestion de la gare. Le syndicat patronal émet alors son propre ticket journalier, vendu aux conducteurs. Ce dispositif vise à mieux encadrer les activités et à éviter les abus constatés par le passé, lorsque plusieurs syndicats intervenaient en même temps, obligeant parfois les chauffeurs à payer à plusieurs reprises dans une seule journée.

Chaque gare obéit à une hiérarchie bien définie. Nous avons des chefs de ligne, chefs de gare, le président de la commune, le secrétaire national, etc. Pour intégrer une ligne, un chauffeur doit s'acquitter d’un droit d’entrée, variable selon les négociations, allant de 15 000 à 50 000 FCFA. Une fois intégré, il ne peut changer de ligne sans autorisation.

Avec plus de 300 véhicules actifs chaque jour à Cocody, les 700 FCFA quotidiens versés par chauffeur génèrent une recette globale estimée à plus de 210 000 FCFA par jour, sans compter les 100 ou 200 FCFA supplémentaires perçus à chaque rotation. Si une partie de ces montants est censée financer l’entretien des gares et la gestion logistique, plusieurs chauffeurs dénoncent un manque de transparence et soupçonnent un détournement massif des fonds.

Autre point de tension, les syndicats ne rendent de compte qu’aux mairies. Aucun contrôle indépendant ne semble être exercé sur la gestion des ressources, ce qui alimente la méfiance de nombreux acteurs du secteur.

À Cocody comme ailleurs en Côte d’Ivoire, les gares de wôrô-wôrô révèlent un paradoxe. Elles sont à la fois organisées et controversées. Les « syndicats », censés structurer un secteur chaotique, sont souvent accusés de dérives graves. Violence, racket, manque de transparence. Le transport urbain, pourtant vital pour des milliers d’Ivoiriens chaque jour, reste plongé dans une zone grise où l’encadrement côtoie l’abus. Pour les chauffeurs comme pour les usagers, la question demeure. A qui profite vraiment ce système ? Une réforme en profondeur, avec un contrôle public réel, semble urgente pour restaurer la confiance, protéger les travailleurs, et garantir un service de qualité à la population.

Claude Eboulé




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