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Interview. Siméon Ehui, DG de l’IITA : « Nous pouvons aider la Côte d’Ivoire à améliorer sa productivité agricole »

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Dans l’entretien qu’il nous a accordé dans son complexe scientifique, au Nigeria, le directeur général de l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA), fait le tour de ses activités et insiste sur l’enjeu d’une collaboration avec les centres nationaux de recherches.

Si on vous demandait une sorte de bilan de vos recherches ?

Les découvertes sont nombreuses. Elles sont nombreuses parce que cette institution existe depuis presque 60 ans. Donc, il sera difficile d’énumérer toutes les technologies, mais je vais vous en citer quelques-unes. Il n'y a pas longtemps, il y avait la cochenille, qui détruisait toutes les plantations de manioc. Grâce aux recherches de l'institut, nous avons pu avoir des prédateurs qui ont pu éliminer la cochenille, ce qui fait qu'aujourd'hui les planteurs, les paysans peuvent travailler sans problème, sans se soucier même du fait que cette maladie existe. Elle a été combattue sur la base du biocontrôle.

L'autre technologie dont on est fier, c'est celle qui permet la multiplication des semences de produits alimentaires, tel que le manioc, 10 000 fois beaucoup plus rapidement que les méthodes traditionnelles. Mais il y a aussi des découvertes du côté, par exemple, du maïs. Nous avons produit des innovations, des maïs hybrides, qui ont des rendements beaucoup plus élevés que ce que nous avions. A travers des méthodes de biocontrôle, il y a une solution qui permet aux exportateurs, par exemple, de maïs ou d'arachides, de pouvoir vendre leurs produits sans problème. On a plus de 400 technologies, par exemple. Donc, elles existent, il faut les adapter selon les circonstances, selon les pays.

En matière de sécurité alimentaire, en quoi est-ce que l'institution que vous dirigez peut contribuer à atteindre les objectifs ?

Il faut dire qu'en Afrique, nous avons près de 300 millions de personnes chaque jour qui vont dormir avec la faim. Et il faut donc transformer le système alimentaire à travers la science et la technologie. Donc, en tant qu'institution de recherche, nous sommes à l'avant-garde. Nous mettons avec nos chercheurs en œuvre des technologies qui permettent justement d'améliorer la productivité. Il ne s'agit pas seulement de production, mais il s'agit de productivité, c'est-à-dire d'améliorer les rendements et la résilience de ces cultures-là face aux effets des changements climatiques.

Nous mettons la recherche et la science au service des producteurs. Et c'est là que se trouve notre rôle. Et les défis vont toujours en continuant parce que le monde change. La demande de produits alimentaires augmente et il y a aussi les effets des changements climatiques qui se font encore de plus en plus graves. Donc, il faut toujours chercher. Et c'est ce que nous faisons ici. Grâce à la Banque mondiale et à l'OCP, on vient d'installer ici, à l'IITA, le hub des fertilisants et la santé des sols. Par exemple, on peut aider les pays à faire leur cartographie, à trouver des solutions qui permettent aux paysans d'utiliser l'engrais nécessaire, adapté à leurs sols, d'appliquer l'engrais qu'il faut pour leur production.

Vous parlez de recherche agronomique, pour produire en masse, mais il y a la question des produits bio. Vos recherches ne contredisent-elles pas la tendance aux produits qu'on voudrait bio aujourd'hui ?

Merci infiniment. D'abord, je dois dire que justement, nous travaillons sur le produit bio. J'ai parlé d’un produit qui élimine la toxine qu'on trouve dans le maïs, qu'on trouve dans l'arachide et qui sont comme du poison, qui sont cancérigènes. Et ce sont des méthodes biologiques qui ont pu aboutir à cela, ce qu'on appelle le biocontrôle, permettre le développement de cette technologie. Il y a une autre technologie qui fixe l'azote sur les plantes et ça permet d'avoir des terres riches à partir même des plantes. Et ça, c'est biologique. Donc, nous travaillons sur le produit bio, effectivement. Comme nous sommes un centre de recherche, nous travaillons de façon transversale. Nous cherchons ce qui peut apporter de meilleures solutions.

Vous êtes un centre de recherche international. Il se trouve que dans certains pays comme la Côte d'Ivoire, il y a des centres nationaux tels que le CNRA (Centre national de recherches agronomiques). Quels sont les rapports que vous entretenez avec ces structures nationales ?

L'IITA, comme je l'ai dit tantôt, fait partie d'un groupe de 15 centres internationaux de recherche qui font partie du partenariat global de la culture internationale. Ces centres ont été créés pour faire la recherche de pointe, mais en partenariat avec les centres nationaux de recherche. Nous travaillons donc de pair avec eux.

Par exemple, quand il s'agit de mettre en œuvre certaines technologies dans un pays, on travaille en collaboration avec ces centres. L'IITA travaille avec le Cnra sur le manioc. Mais, on peut faire mieux. Il faut améliorer l’accès à ces technologies. À mon avis, nos rapports sont bons, mais pas encore parfaits.

Il s'agit donc de relever ce défi et d'améliorer la collaboration. Nous travaillons beaucoup. Vous avez vu le président Maada Bio de la Sierra Leone venir ici avec l'équipe du centre national de recherche de son pays. Le directeur général est venu, il travaille avec nous, il vient en formation ici, puis il repart. Les chercheurs ivoiriens viennent aussi ici et repartent. Mais nous voulons renforcer ces échanges et travailler ensemble pour mieux profiter des technologies disponibles à l'IITA.

Vous êtes Ivoirien et vous avez été invité par le gouvernement ivoirien lors du dernier séminaire gouvernemental. Quel serait l'apport de votre institut au développement et à la transformation agricole en Côte d'Ivoire ?

J’ai été invité effectivement lors du séminaire gouvernemental où j’ai eu l’honneur de faire une présentation sur comment améliorer la productivité agricole et la valeur ajoutée. J’ai expliqué le rôle essentiel de la science pour améliorer la productivité. J’ai donné trois messages clés. Premièrement, la science est fondamentale. Sans elle, il ne peut y avoir ni développement ni amélioration de la productivité. J’ai donné l’exemple du Brésil, de l’Éthiopie et du Vietnam. Ensuite, j’ai insisté sur l’importance des infrastructures rurales pour accompagner le développement agricole. Enfin, j’ai souligné le rôle des partenariats. Sans collaboration, rien ne peut avancer.

Avec la Côte d’Ivoire, nous travaillons sur plusieurs cultures pour lesquelles nous avons un avantage comparatif : le maïs, le manioc, l’igname, le niébé, la banane et le soja. Nous collaborons également avec d’autres centres de recherche comme AfricaRice et l’Institut international de recherche sur l’élevage. Dans mon rôle de directeur régional Afrique du partenariat global pour la recherche, nous pouvons mettre toutes ces compétences en commun pour aider la Côte d’Ivoire à améliorer sa productivité agricole.

Aujourd’hui, selon les statistiques, la Côte d’Ivoire importe en matière d’aliments, plus de 700 millions de dollars par an. Pourtant, le marché agricole potentiel pourrait atteindre 3 milliards de dollars d’ici 2030. Il faut donc préparer et former nos paysans pour qu’ils puissent profiter de ce marché en pleine expansion. Si nous ne le faisons pas, nous continuerons d’importer et d’envoyer notre argent à l’extérieur, ce qui est un véritable problème.

L’un des grands défis pour le gouvernement ivoirien est l’emploi des jeunes. Comment l’IITA peut-elle contribuer à résoudre ce problème ?

Nous avons un très grand programme dédié aux jeunes, et j’en suis très fier. Grâce au financement d’une grande fondation mondiale, nous aidons les jeunes à acquérir des compétences en transformation agroalimentaire et en agribusiness.

Avec un petit capital de départ, certains jeunes formés par notre programme sont devenus entrepreneurs agricoles. Certains exportent même leurs produits et les vendent dans des supermarchés au Nigeria et ailleurs. En Côte d’Ivoire, j’ai eu l’occasion d’en parler avec les autorités, et elles sont très intéressées par cette initiative. L’IITA peut aider à former les jeunes et leur donner accès aux technologies nécessaires pour devenir des "agropreneurs", c’est-à-dire des entrepreneurs agricoles.

Vous dirigez aujourd’hui un institut international. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Je suis vraiment heureux et reconnaissant d’occuper cette position. Je remercie le gouvernement ivoirien qui m’a soutenu dans ma formation. Grâce à l’éducation reçue en Côte d’Ivoire, j’ai pu poursuivre mes études et atteindre ce niveau. Après mon doctorat aux États-Unis, j’ai fait deux ans de recherche postdoctorale à l’IITA en 1993. Ensuite, j’ai évolué dans le système international de recherche, jusqu’à devenir directeur de l’agriculture pour l’Afrique de l’Ouest et du Sud à la Banque mondiale. C’est de là que l’IITA m’a appelé pour diriger l’institution et l’aider à progresser. C’est une fierté pour moi. Je souhaite que les jeunes bénéficient du même soutien que j’ai eu, pour qu’ils puissent eux aussi atteindre de grandes responsabilités dans des institutions comme celle-ci.

De la Banque mondiale à l’IITA, qu’est-ce qui a été le déclic ?

J’ai gravi presque tous les échelons à la Banque mondiale, jusqu’au poste de directeur. Ce qui restait c’est le poste de vice-président. J’aurais pu continuer, mais ce qui m’importe, c’est l’impact. Être ici me permet d’agir directement sur la productivité agricole, d’interagir avec les paysans et de voir des résultats concrets sur le terrain. Mon objectif est de contribuer à la réduction de la pauvreté à travers la science et la recherche. Je pense avoir fait le bon choix.

Interview réalisée à Ibadan (Nigéria)

Par Adama Koné


Encadré:

Ils font la fierté de la Côte d’Ivoire au Nigeria

La Côte d’Ivoire brille à l’extérieur. Les Ivoiriens se font remarquer hors du pays. Au Nigeria, c’est une agréable surprise que de se rendre compte que le tricolore ivoirien flotte avec fierté au sein des institutions internationales. Trois cerveaux s’identifient dans ce secteur. Le premier, le directeur général de l’Institut international d’agriculture tropicale (Iita), Siméon Ehui. Depuis près de deux ans, il est descendu de la Banque mondiale, à Washington, pour occuper ce prestigieux poste, à Ibadan, au Nigéria. Une activité qui l’emmène partout en Afrique et hors du continent quand c’est nécessaire.

Le deuxième responsable à faire honneur au pays est Koffy Dominique Kouacou. Il ne passe pas inaperçu, par sa taille imposante et son style. Lui, il représente le Fonds des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao) au Nigeria et à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). En plus, il a également la responsabilité de l’Afrique de l’Ouest depuis le bureau de Dakar, au Sénégal, où il était en poste, avant de déposer ses valises au Nigeria. C’est une promotion.

Le troisième ivoirien à faire flotter le drapeau ivoirien au Nigéria est Malick Aïdara. En tant que directeur recherche de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid), il contribue au rehaussement de la qualité des ressources humaines ivoiriennes à l’extérieur. Pour Koffy Dominique Kouacou, ces cerveaux œuvrant dans l’agriculture et le développement, doivent servir à l’essor du secteur agricole en Côte d’Ivoire. Et l’ambassadeur Traoré dit travailler à créer une synergie de réflexion dans ce sens et une reconnaissance (décoration) de ces valeurs humaines à l’extérieur.

A. Koné

Envoyé spécial à Ibadan





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