La liberté de la presse a été sur le devant de la scène durant le week-end, mais d’une manière qui ne nous permet pas d’écrire qu’elle a été à l’honneur.
La publication par Reporters sans frontières de son classement 2025 de la liberté de la presse a révélé que Madagascar a perdu treize places par rapport à l’année dernière. On serait tenté d’écrire « une fois de plus », car les chutes dans ce classement sont devenues monnaies courantes avec Andry Rajoelina (voir graphique).
Rappelons qu’en 2008, sous Marc Ravalomanana, Madagascar était au 94ème rang. Le coup d’État perpétré par Andry Rajoelina en 2009 a précipité le pays à la 134ème place. Quand Hery Rajaonarimampianina quitte le pouvoir, Madagascar était à la 54ème place. À la sortie du deuxième quinquennat d’Andry Rajoelina (2019-2023), Madagascar se retrouve à la 101ème place en 2023, avant de plonger à la 113ème place en 2025. Comme on le constate facilement sur le graphique, les deux pires places obtenues par Madagascar depuis que ce classement existe ont eu lieu avec Andry Rajoelina à la tête de l’État. Voilà donc une signature de pseudo-champion de la démocratie. Au-delà des discours de propagande applaudis par les solelakistes, les chiffres ne mentent pas. Les tendances lourdes n’ont rien à avoir avec la conjoncture internationale ou la pandémie du Covid-19, servie à toutes les sauces pour justifier depuis 2020 l’incompétence et la non-performance des autorités.
Comme le Sommet de la Commission de l’Océan indien (COI) est encore frais dans les mémoires, soulignons que dans ce classement RSF 2025, Madagascar est au bas du tableau avec sa 113ème place. La Réunion / France est à la 25ème place, suivie des Seychelles (45ème place), de Maurice (51ème place) et des Comores (75ème place). Des cinq états membres de la COI, seule l’île Maurice a gagné des places. Cela ne cautionne pas pour autant la défense maladroite du Directeur général (DG) du ministère de la Communication et de la Culture (MSK), qui sous-entend que ce n’est pas si grave d’avoir perdu des places dans la mesure où cette situation atteint « plus de six pays sur dix ». Cette remarque est vraiment curieuse, et montre une des tares des responsables malgaches : chercher le nivellement par le bas. Au lieu de se demander pourquoi Maurice a gagné six places, on se complaît à souligner que nous ne sommes pas les seuls à avoir chuté dans le classement. Ce communiqué du DG de la communication a d’ailleurs été publié sous de nombreuses versions, les premières ayant été truffées de fautes.
Mais le communiqué du DG de la communication n’était qu’un hors-d’œuvre, car le contre-argument le plus risible venait de la patronne du département. La réaction de la ministre à la tête du MSK, Donna Mara, est un savant mélange de ridicule et de réflexe staliniste. Elle a remis en cause la méthodologie qui a produit le classement RSF 2025, et a déclaré que les résultats au sujet de Madagascar dans les classements internationaux devraient faire l’objet d’une consultation de toutes les forces vives. Entendre par là, avoir l’avis si ce n’est l’aval du gouvernement.
On n’a jamais entendu requête plus incongrue dans un pays démocratique, mais il est vrai que Madagascar n’est pas un pays démocratique, et que la ministre a fait de nombreuses années de sa carrière dans le secteur public : cela entraîne à avoir une vision obséquieuse envers les autorités. La crédibilité de ces indicateurs internationaux repose sur des méthodologies indépendantes qui ont fait leur preuve depuis des décennies, et qui les met à l’abri du solelakisme des gouvernements locaux. Peut-on imaginer un instant quel genre d’indicateurs on obtiendrait s’il fallait demander l’avis d’autorités narcissiques et mégalomanes pour noter la performance de leurs pays en matière de démocratie, d’État de droit, de performance économique ou de liberté de la presse ?
Talk-show inintéressant
On ne pouvait pas terminer cette réflexion sans mentionner l’énième talk-show télévisé d’Andry Rajoelina, durant lequel il a dit une seule chose intéressante : « s’informer c’est s’instruire ». Nous prenons donc de bon cœur l’initiative de l’instruire, lui et sa ministre de la Communication. Les indicateurs sont souvent composites et s’intéressent la plupart du temps à plusieurs dimensions, et n’en considérer qu’un est un signe d’indigence dans le domaine de la culture générale, pour ne pas dire plus. Dire que la presse à Madagascar est libre car aucun journaliste n’est actuellement emprisonné pour délit de presse, équivaut à dire que Madagascar est démocratique car on y organise des élections.
Sinon, le talk-show s’est comme toujours révélé insipide et d’un intérêt médiocre : il y a eu plus de propagande (show) que d’informations (talk) intéressantes. Dans un contexte tendu, Andry Rajoelina aurait pu saisir l’occasion de répondre de façon honnête et intelligente aux interrogations légitimes et aux critiques fondées. Malheureusement, ce fut l’habituel show de propagande devant des membres de son fan-club médiatique, qui se sont abstenus de poser les questions qui fâchent, d’apporter la contradiction et de faire des reprises sur des réponses discutables. Comme d’habitude, on a eu l’impression que les questions ont été soufflées d’avance pour permettre au personnage de dérouler son argumentaire. Pour preuve, des questions ont servi de tremplin pour la diffusion de vidéo préparées d’avance à la gloire du régime : tracteurs, téléphérique, Palais du futur et de l’innovation, jet d’eau etc.
Habitué à ce genre de partenaires médiatiques conciliants, on peut donc comprendre qu’Andry Rajoelina appelle « pseudo-journalistes » ceux qui ne sont pas alignés avec sa vision encline à ne respecter que les laudateurs et les thuriféraires. On attend avec curiosité les mesures qu’il a annoncées être en train d’envisager pour assainir la profession. Si sur le principe, sa remarque est légitime, sur le plan concret, on se demande comment un pseudo-démocrate va faire pour maquiller ses appétits autocratiques derrière des mesures prétendument de bonne gouvernance. Mais il est vrai qu’on est toujours amusé d’imaginer un pseudo-démocrate, auteur avéré de coup d’État, espérer avoir la légitimité de donner des leçons en matière de démocratie, de bonne gouvernance et d’État de Droit.
Ikala Paingotra