Le week-end dernier je suis allé avec un ami faire le tour d’une partie de la lagune Aby, en partant d’Adiaké, pour finir à Elima, en passant par Eboué, Adjouan, et Aby. Tous nos amis à qui nous disions où nous nous trouvions nous posaient la même question : « c’est pour les funérailles de qui ? » Oui, en Côte d’Ivoire, lorsque l’on va passer le week-end dans une autre localité que son propre village, c’est généralement pour les funérailles d’une connaissance ou d’un proche d’une connaissance.
Notre objectif à nous était d’aller découvrir Elima, où dit-on, furent créées la première école en Côte d’Ivoire, en 1887, et la première ambassade française dans notre pays. D’Aboisso, la route est bitumée jusqu’à Eboué où nous avions posé nos pénates dans un tout nouvel hôtel. La piste non bitumée qui mène à Elima en traversant de grandes plantations de palmiers, n’est pas du tout méchante. L’on nous avait dit qu’il était possible de rallier Elima à partir d’Adiaké par pinasse. Elima est juste en face d’Adiaké, sur l’autre rive de l’immense lagune Aby qui forme une de nos frontières avec le Ghana et, est la deuxième lagune de notre pays en termes de superficie : 424 km2. Nous, nous avions envie de découvrir, et avions donc décidé d’y aller par la route.
A Elima, une pancarte souhaite la bienvenue au visiteur à « Elima, berceau de l’école ivoirienne ». Mais rien n’indique où se trouve cette fameuse première école. Un jeune boutiquier à qui nous nous adressons n’en sait pas plus que nous. C’est Cédric, un jeune lycéen de 18 ans qui nous conduit sur les lieux tout proches, sans pouvoir nous dire quoi que ce soit sur son histoire. Aucune pancarte n’indique que nous sommes sur les ruines de la première école construite en Côte d’Ivoire. Les ruines ? Il y a quelques piliers, deux morceaux de mur mangés par les plantes et quelques traces au sol. Personne pour nous conter l’histoire de cette école. C’est sur Wikipédia que nous apprenons que cette école fut fondée en 1887 par un Français du nom d’Arthur Verdier, et que le gouvernement français y envoya un premier instituteur du nom de Jeand’heur. L’école devait d’abord s’ouvrir à Krindjabo, la capitale du royaume Sanwi, mais le roi Akasamadou de l’époque ne la vit pas d’un bon œil, et Verdier dut se résoudre à l’ouvrir à Elima, avec trente écoliers au début. Il y avait déjà créé la première plantation de café dans ce territoire qui deviendra la Côte d’Ivoire, en défrichant d’abord 100 hectares de forêt vierge, qu’il portera à 300 hectares plus tard. Wikipédia nous apprend aussi qu’il fut le premier Européen à construire une maison en dur sur le territoire. On la baptisa la « maison blanche », et plus tard, « la première ambassade de France en Côte d’Ivoire ». Cette maison, ou plutôt ses ruines, se trouve sur un promontoire au bord de la lagune, au-dessus de ce qui reste de l’école. C’était une imposante maison aux murs épais, aujourd’hui mangés par la végétation, et qui devait avoir très fière allure à son époque.
Depuis toujours, nos livres d’histoires nous ont appris que la première école, ainsi que la première plantation de café de notre pays furent créées par un certain Arthur Verdier. Nous savons tous que le café fut, avec le cacao, les deux principales mamelles de notre économie. Lorsque le mantra inlassablement répété à la télévision était « le succès de ce pays repose sur l’agriculture », il était surtout question du café et du cacao. L’histoire du café et celle de celui qui l’a introduit en Côte d’Ivoire ne méritent-elles pas d’être connue des Ivoiriens ? L’histoire de la première école ne mérite-t-elle pas d’être connue, lorsque l’on sait que dans ce pays, il est connu que l’école est le seul chemin qui conduit à la réussite ? Cette première école ne mérite-t-elle pas d’être réhabilitée, voire reconstruite ? Je ne sais s’il est encore possible de réhabiliter la maison de Verdier. Si cela était possible, nous devrions le faire. Sinon, nous devrions prendre des mesures pour préserver ce qu’il en reste. C’est notre mémoire. C’est notre histoire. Nous devons la connaître, nous devons la léguer aux générations futures. Et si nous réussissions à créer ce musée du café à Elima, on peut aisément imaginer l’impact que cela aurait sur le développement du tourisme dans cette région et sur son économie. La mairie d’Adiaké à laquelle est rattachée Elima, le Conseil régional et les ministères de la Culture et de la francophonie, de l’Education nationale, de l’Agriculture et du Tourisme devraient tous s’y impliquer et travailler en synergie. Cela est possible, ce ne sera pas coûteux, et c’est la Côte d’Ivoire qui y gagnera. Rappelons que j’ai découvert il y a deux ans, sur une des îles Ehotilé toutes proches, deux fûts de canon qui, nous a-t-on dit, dateraient du roi français Louis XIV. Ils étaient en train d’être engloutis dans la vase. J’avais lancé un SOS pour ces morceaux d’histoire, mais je ne sais si j’ai été entendu.
Venance Konan