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Politique

Henri Konan Bédié à Poitiers sur les traces de Descartes

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"Les chemins de sa vie "(3)Les études à l’École normale destinaient en principe Henri Konan Bédié à une carrière d’enseignant. Il devait, après le bac, aller en stage à l’École normale de Sébikhotane pour recevoir une formation pratique d’instituteur. Il pouvait également, avec une bonne moyenne au bac, choisir une filière à l’université de Dakar pour y préparer une carrière de professeur. C’était cette seconde option qui s’offrait à lui, son résultat au bac le situant parmi les meilleurs. Hélas sa turbulence attire négativement sur lui le regard de la direction de l’école de Dabou, et cela l’expose à la menace d’une exclusion s’il ne réussit pas au bac. Heureusement en juin 1954, sa détermination au travail lui permet de décrocher aisément ce diplôme. Il ne sort pas pour autant du viseur de l’administration qui rejette sa demande d’une bourse pour la capitale de l’AOF.


Il quitte donc Dabou, écoeuré contre ses enseignants et même contre l’enseignement. L’engagement décennal du normalien à exercer le métier d’enseignant, il ne veut plus en entendre parler. Il ne peut obéir à « l’ordre injuste », se justifie-t-il. Il écrira plus tard : « L’essentiel pour moi était de désobéir et j’ai décidé d’aller en France poursuivre mes études à l’université de Poitiers. »


Pourquoi son choix se fixe-t-il sur cette ville en France ? Il expose trois raisons. D’abord il explique qu’il avait lu à Guiglo le roman picaresque d’Alain-René Lesage, Histoire de Gil Blas de Santillane, dans lequel le héros, pourchassé par les gendarmes au cours d’une trépidante série d’aventures, avait fini par trouver refuge à l’université de Poitiers. Et il trouve cette situation comparable à la sienne, rien que ça !


Il rappelle ensuite que l’université de Poitiers est le lieu où le célèbre mathématicien et philosophe René Descartes, le futur auteur du Discours de la méthode, a rédigé sa thèse. Et il se pâme littéralement devant le chapelet des noms des professeurs du grand philosophe, comme s’il parlait des maîtres qui auraient à guider ses propres pas.


Il indique enfin qu’il figurait au nombre des étudiants ivoiriens qui n’étaient pas boursiers et ne pouvaient compter que sur l’aide de leurs parents. Certes, il venait de la région de la boucle du cacao et avait décidé de partir en France à un moment où le cours de ce produit comme celui du café étaient plutôt avantageux. Mais les 150 000 Francs CFA que ses parents lui avaient remis, bien qu’ils fussent une somme importante, ne lui permettaient pas de s’exposer aux tentations de Paris, de céder à son « côté riant », de s’épuiser dans les bals en compagnie de ses camarades étudiants africains. « Je choisis (donc) d’aller en province, conclut-il, à Poitiers, sur les traces de Gil Blas de Santillane. »


Parmi les étudiants ivoiriens qui l’avaient accueilli à Poitiers, il s’était toujours positivement souvenu de deux, Arsène Assouan Usher et Jean-Baptiste Améthier. Où et comment les avait-il connus ? Il se borne à indiquer qu’il avait été à l’École normale de Dabou avec le neveu du premier. Améthier ne l’avait devancé dans la capitale de la Vienne que de quelques semaines, puisque son inscription à la faculté de droit datait également de cette rentrée de septembre 1954. C’était lui qui hébergerait le nouveau venu, le temps qu’il trouve un logement.


L’université de Poitiers, confie Bédié, avait une excellente réputation en lettres et en droit. Des deux disciplines, il ne privilégie pas la première mais la seconde. Pas plus là qu’au collège et qu’au lycée, il ne sera un sujet médiocre. Sa progression accuse la régularité d’un métronome. Quatre ans après son arrivée, il a déjà obtenu tous les diplômes qu’il recherchait. À Éric Laurent qui lui rappelle qu’en 1958, il était déjà titulaire d’une licence en droit et de deux diplômes d’études supérieures, il confirme avec fierté qu’il s’agissait d’un DES d’économie politique et d’un autre de sciences économiques. Il précise avec plaisir qu’il ne lui avait pas fallu plus d’une année scolaire et trois mois pour les obtenir. Et il ajoute, heureux : « C’était possible pour ceux qui travaillaient beaucoup. À l’examen du DES de sciences économiques, en mars 1958 à Poitiers, j’étais d’ailleurs major de la promotion. »


Plusieurs années après son arrivée à Poitiers, Bédié ne semble pas encore avoir digéré les incongruités qu’il avait subies à la sortie du secondaire à Dabou, et qui l’avaient hérissé contre le métier d’enseignant. Il ne manque, du moins, aucune occasion pour détourner de l’enseignement ses jeunes frères que ce métier pouvait allécher. Ainsi de Zoumana Koné qui sera, de 1966 à 1973, le directeur de cabinet du ministre de l’Économie et des Finances de Côte d’Ivoire Henri Konan Bédié.


Les deux hommes s’étaient rencontrés à Poitiers, à la rentrée universitaire de septembre 1956. « Quand je suis arrivé à Poitiers, m’a raconté Zoumana Koné, je voulais faire SPCN : Sciences physiques, chimiques et naturelles. C’est M. Bédié, qui était mon aîné à l’université, qui va me pousser à faire des études d’économie. Il m’a demandé si je voulais tenir la craie. Systématiquement en effet, les études de SPCN conduisaient à l’enseignement. Bédié m’a appris qu’une nouvelle section, consacrée à l’économie, était en train d’être ouverte à la faculté de droit, et qu’il fallait que je vienne voir. Ce serait l’avenir. Je le dis aujourd’hui parce que c’est la vérité. Lui-même était en droit. Mais à l’époque, on pouvait dériver des matières juridiques vers les matières économiques. Il était en 2ème année, et l’année d’après il a dérivé vers les matières économiques. Quand il m’avait parlé, j’étais rentré chez moi, un peu dubitatif. Je me débrouillais en effet dans les matières scientifiques, et j’avais le sentiment que, en écoutant son conseil, je lâcherais ce que je tenais en main pour une proie que je ne connaissais pas. Or ce que je ne connaissais pas, c’était aller en économie. J’avais un peu peur. J’ai fini cependant par aller m’inscrire à la faculté de sciences économiques, pendant le premier trimestre 1956. Et à noël, je suis allé lui dire : "Ça y est, tu as gagné. Je vais laisser tomber SPCN." Voilà comment j’ai dû faire économie. »


Les résultats extraordinaires que Bédié obtient à l’université sont étonnants pour un jeune homme qui n’a pas cessé de se dissiper de ses études, du fait d’une énorme activité extra-universitaire. Comme toute la jeunesse estudiantine de l’époque, lui aussi était imprégné des thèses de Marx et de Lénine. Il assure même, dans Les chemins de ma vie, avoir été qualifié d’étudiant communiste et anti-français dans le fichier de police de Poitiers, pour avoir pris parti contre la guerre d’Algérie.


Son engagement syndical à l’université était notoire. « Quand j’ai rencontré Bédié à Poitiers en 1956, confie Zoumana Koné, il était président de notre association. L’Association des Étudiants de Côte d’Ivoire en France (AECIF) Section Poitiers. Il m’a d’ailleurs coopté, dès que je suis arrivé, comme vice-président. »


Nous étions en septembre 1956. Bédié venait de rentrer de Côte d’Ivoire où il n’était pas retourné depuis 1954. Il s’y était rendu, au début des vacances, pour organiser le premier congrès de l’Union Générale des Élèves et Étudiants de Côte d’Ivoire (UGEECI). Il existait jusqu’alors deux organisations d’étudiants ivoiriens, l’Association Générale des Élèves et Étudiants de Côte d’Ivoire (AGEECI), constituée pour l’essentiel de collégiens et de lycéens puisqu’il n’existait pas d’université en Côte d’Ivoire, et l’Association des Étudiants de Côte d’Ivoire en France (AECIF). Bédié assure qu’en partant au pays durant l’été, il avait reçu un mandat de ses camarades pour unifier les deux organisations et en faire disparaître le déséquilibre entretenu notamment par ceux qui séjournaient en France, qu’on appelait d’ailleurs les « métropolitains » et qui, précise-t-il, ne cachaient pas un certain sentiment de supériorité. « À l’issue du congrès, se réjouit-il, j’étais parvenu à unifier les deux sensibilités. »


Après la faculté de droit, le métier qui l’attire est celui du barreau. Il commence un pré-stage d’avocat à Poitiers, mais l’instauration de la Loi cadre Gaston Defferre, qui se traduit par la mise en place d’un gouvernement en Côte d’Ivoire et la nécessité d’une forte mobilisation de tous les jeunes diplômés du pays, l’oblige à rebattre les cartes de ses perspectives. Le voilà bientôt en situation de dire adieu à Poitiers et aux études. Bédié se représente-t-il alors ce qui s’imprimera sur la page blanche qui s’ouvre devant lui ? Frédéric GRAH MEL






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