C’est, du moins, le sentiment qui se dégage de la naissance de la nouvelle coalition politique dénommée « Union sacrée » créée le 22 avril dernier, suite à une concertation à huis clos d’un consortium de formations politiques et d’organisations de la société civile. Les conjurés ont décidé « d’unir leurs efforts pour contraindre le CNRD à respecter ses engagements d’organiser les élections nécessaires au retour à l’ordre constitutionnel avant la fin de l’année 2024 ». Et pour ce faire, « l’Union sacrée » entend « user de tous les moyens légaux, y compris les manifestations dans les rues et sur les places publiques pour exiger l’organisation des élections ». A défaut d’obtenir la satisfaction de sa plateforme revendicative, la nouvelle plateforme politique guinéenne se réserve le droit d’exiger le départ de la junte et la mise en place d’une transition civile capable d’organiser, dans un délai raisonnable, des élections crédibles afin de permettre au peuple guinéen de choisir librement ses dirigeants. C’est dire, en un mot comme en mille, que l’opposition au Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) se met en ordre de bataille pour arracher à Mamady Doumbouya et à ses compagnons, le pouvoir politique qu’ils ont usurpé par les armes.
Il faut craindre le réveil des vieux démons guinéens
Pourquoi, alors que la junte vient de mettre en place un nouveau gouvernement pour plus de résultats, le thermomètre politique menace-t-il de s’affoler ? La principale raison est que les Guinéens sont fatigués d’être menés en bateau par un régime qui s’apprête à fêter son troisième anniversaire aux commandes du pays sans apporter de véritables réponses aux préoccupations des populations. Et même si, sous l’égide de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le CNRD s’est doté d’une feuille de route pour le retour à l’ordre constitutionnel normal, rien ne prouve que celle-ci sera respectée surtout que certaines questions préalables à l’organisation des élections n’ont pas, pour l’instant, été clairement abordées. Il s’agit de la révision constitutionnelle, de la relecture du Code électoral et du toilettage du fichier électoral. La classe politique, de ce fait, s’impatiente et commence même à se désillusionner ; elle qui, dans l’ensemble, avait accueilli, avec une forte dose d’enthousiasme et d’optimisme, l’arrivée de la soldatesque sur la scène politique pour mettre fin aux dérives dictatoriales du président Alpha Condé. Et la classe politique guinéenne est d’autant plus désillusionnée que contrairement aux autres pays frères de la sous-région où les hommes en treillis ont pris le pouvoir, il n’y a pas de problèmes sécuritaires qui puissent entraver l’organisation d’un scrutin libre et transparent en Guinée. La seconde raison de l’impatience de la classe politique est qu’elle est, sans doute, lassée de la politique spectacle de Doumbouya. Elle aspire donc à un autre mode de gouvernance après bientôt 3 ans de régime qui allie et parfois maladroitement, populisme et tyrannie.
Les Guinéens doivent trouver les mécanismes intérieurs pour se parler
Mais si l’on peut comprendre cette impatience de l’opposition guinéenne, l’on peut cependant se demander si elle a les moyens de sa politique.Rien n’est moins sûr dans la mesure où le monstre que « l’Union sacrée » veut abattre, se repait des divisions de la classe politique guinéenne. L’on sait déjà que « l’Union sacrée » portée, sur ses fonts baptismaux au siège de l’UFDG, ne mobilise pas toute l’opposition dont une partie est au gouvernement. Le nouveau Premier ministre est, en effet, un politique qui se réclame de l’opposition. C’est dire donc que pour réussir le pari de l’unité d’actions pour contraindre la junte au pouvoir à lâcher du lest, l’opposition devra se battre d’abord contre elle-même pour expurger de ses rangs les germes de la division. Et ce pari est loin d’être gagné ; tant les clivages politiques sur fond de tensions ethniques sont énormes en Guinée.Cela dit, même si la nouvelle coalition politique nait avec le péché originel de la division, il n’en demeure pas moins que sa force de frappe est réelle. Rien que l’UFDG, à elle seule, peut réveiller le volcan guinéen. Son expérience dans les luttes politiques antérieures en Guinée, le prouve bien. C’est donc dire que la météo politique en Guinée pourrait sérieusement se troubler et il faut craindre le réveil des vieux démons guinéens qui ne sommeillent que d’un œil. Et cela est particulièrement vrai que la junte pourrait être galvanisée dans la répression des manifestations que le contexte régional est favorable aux régimes militaires qui semblent tirer leur légitimité de la crise sécuritaire. Allons-nous alors vers un nouveau massacre comme celui du 28- Septembre ? Les Guinéens vont-ils à nouveau ramasser des macchabées dans les rues comme lors des grandes manifs qui ont écrit l’histoire du pays en lettres de sang ? Le risque, en tout cas, est grand et il faut le prévenir. Et c’est donc naturellement que les regards sont tournés vers la CEDEAO et son médiateur, Yayi Boni. Mais avant que la communauté sous-régionale ne se mette en branle, les Guinéens doivent trouver les mécanismes intérieurs pour se parler. Et à cet effet, les leaders communautaires et religieux qui avaient déjà désamorcé une précédente crise, ont leur mot à dire.
Le Pays