L’adhésion des populations à la Couverture Maladie Universelle (Cmu) est pratiquement devenue obligatoire. Ce faisant, les opérations d’enrôlement mobilisent quotidiennement les populations. Dans la commune d’Abobo, certaines personnes font le pied de grue dans la nuit, devant la mairie, pour se faire enrôler.
Suite à une vidéo diffusée récemment sur les réseaux sociaux, faisant état de cette situation, nous nous sommes rendus, le jeudi 27 juillet 2023, sur les lieux pour constater la véracité de ce fait.
Il est 23h00 lorsque nous arrivons à la mairie d'Abobo. Un tour de la clôture nous permet d'atteindre l'entrée principale. Deux bâches moyennes sont dressées près de la clôture à quelques mètres de l'entrée. Sous ces bâches sont tapis dans l'obscurité une centaine de personnes, composées de jeunes filles, de jeunes garçons et de femmes, dont quelques-unes pourraient visiblement avoisiner les 50ans.
Nous ne révélons pas notre identité pour ne pas éveiller les soupçons des gardes municipaux présents au portail. Puis nous engageons aussitôt la conversation avec quelques personnes.
Notre première interlocutrice est une mère de 10 enfants. « Cela fait trois jours que je viens ici. J'étais là mardi, hier aussi et encore aujourd'hui » nous confie-t-elle. Arrêtée tout près du portail de l'entrée de la mairie, elle nous indique sa fille couchée à environ 5mètres d’elle, en précisant : « je suis partie d'ici à 15h, pour me laver et revenir. J'ai laissé ma fille, pour conserver ma place à la tête du rang. A mon retour à 19h, j'ai constaté qu'elle a reculé de quelques mètres. Parce que dit-on, tout cet espace (allant du portail jusqu'à 10m le long de la clôture) serait déjà occupé, par des personnes absentes.
Pendant que nous échangions, une autre dame assise sous l’une des bâches, croyant que nous étions venus pour prendre position devant elle, formule en langue malinké une protestation teintée d’avertissement. Selon Eric B, traducteur pour la circonstance, venu également s’assurer une bonne position pour le lendemain, « la dame dit qu’elle a laissé sa maison pour dormir à la belle étoile à cet endroit. Donc elle ne permettra à personne de se positionner devant. Si cela arrive, c’est qu’il n’y aura pas d’enrôlement le matin ».
Exposés aux moustiques et à l’insécurité
« Il fait très froid ici », confie Ali (15ans) qui était à son deuxième jour de veille. « J’ai doublé mes habits. Pour l’instant, ça va. Mais c’est à partir de 2h du matin, que le froid traverse mes habits pour atteindre mon corps, comme si j’étais torse nu » a-t-il confié.
Les inconvénients liés à la veille nocturne devant la mairie d’Abobo se traduisent également par les piqûres de moustiques. C’est ce que reconnait Maimouna, jeune fille de18ans. « Les moustiques d’ici sont très dangereux. Quand ils te piquent, tu as l’impression qu’on t’enfonce une seringue dans le corps. Actuellement, on ne les sent pas trop. Mais autour de 2h du matin, lorsqu’il n’y aura plus de circulation dans la ville, ce sera comme si tous les moustiques se sont donnés rendez-vous ici » nous- dit- elle.
S’agissant de la sécurité :« il y avait un cargo de police ici hier. On espère qu’il sera là d’un moment à l’autre. En tout cas, il n’est pas question de quitter le site », fait savoir la voisine de Maimouna. Puis de poursuivre : « avant-hier nuit, (parlant du mardi 25 juillet dernier), un automobiliste a été agressé au niveau de l’échangeur en construction. Il a fallu qu’il revienne rapidement pour solliciter l’aide de la police » a-t-elle révélé.
Des magouilles autour de l'opération.
L’espace entre la première bâche et le portail de la mairie est d’office réservé. « Le sol a été payé » lance un jeune homme la vingtaine révolue qu’on appellera André. En effet, un arrangement se fait avec ceux qui sont chargés de mettre de l’ordre dans le rang. André explique que « le sol payé veut dire que des personnes ont déjà soudoyé les responsables chargés d'organiser les rangs. De sorte que ceux qui ont payé la somme de 5000f chacun, sont ceux qu'on met à la tête du rang le matin » a-t-il dit. La grosse difficulté, à en croire nos interlocuteurs, est que le nombre de personnes enrôlées par jour est insuffisant. Selon lui, c’est environ 150 personnes qui le sont officiellement chaque jour ».
A en croire certaines indiscrétions, à côté de l'enrôlement effectué officiellement, des réseaux parallèles existeraient dans le seul but de soutirer de l'argent aux souscripteurs. Pour cela, chacun est amené à débourser la somme de 2000F voire 3000F. Cela se fait tantôt hors de la mairie, tantôt à l’intérieur, mais toujours après le service.
Des difficultés ailleurs d’autres lieux d’enrôlement
La marie d’Abobo ne constitue pas le seul lieu d’enrôlement, nous a-t-on appris. Aux alentours de la direction générale des impôts, au lycée moderne d’Abobo, l’on retrouve d’autres centres d’enrôlement. « Au lycée moderne d’Abobo par exemple, il n’est pas permis de passer la nuit », nous informe une mère de 10 enfants qui s’y était rendue. Au moment où nous quittions la mairie, le nombre de personnes n’avait pas suffisamment augmenté. Sans doute à cause de la fine pluie qui arrosait la commune d’Abobo ce soir-là.
Rappelons que la carte de la couverture maladie universelle (CMU) est devenue indispensable dans l’établissement de la plupart des actes administratifs. Entre autre, l’inscription à tous les niveaux du système éducatif, la confection d’un passeport et d’une carte nationale d’identité, l’inscription à un concours administratif etc.
Trésor Doudou
Publié le :
1 août 2023Par:
Mobio