Le nom de Robert Ménard vous dit-il quelque chose ? Il y a quelques années, il était la bête noire des dirigeants africains qui, selon les critères occidentaux, fricotaient un peu ou beaucoup avec les libertés de la presse ou tout simplement avec la démocratie. Robert Ménard était alors le secrétaire général de l’association « reporters sans frontières » (RSF) qui s’est assignée pour mission de défendre la liberté de la presse dans le monde entier. Chaque fois qu’un journaliste avait quelques soucis avec son gouvernement, son premier réflexe était d’appeler « reporters sans frontières ». Et parfois Robert Ménard débarquait dans notre pays, où il était reçu avec tous les honneurs par les journalistes de l’opposition d’alors, qui étaient en permanence en bisbille avec le gouvernement. Une fois des journalistes des journaux proches de Laurent Gbagbo sont allés le chercher au pied de l’avion pour l’escorter comme un chef d’Etat. Et le lendemain, ils lui ont consacré un reportage absolument dithyrambique. C’était au temps du président Bédié, et Robert Ménard ne trouvait pas de mots assez durs pour fustiger l’ivoirité qui, selon lui était une sorte de nazisme à la sauce africaine. Lorsqu’il était à la tête de RSF, il était connu comme un militant de gauche. Mais quand il en est parti, il a aussitôt viré à l’extrême droite et s’est acoquiné avec Marine le Pen. Devenu maire de la ville de Béziers, il applique sans complexe l’idéologie de l’extrême droite qui se résume en xénophobie, racisme, et rejet des étrangers, surtout africains.
Depuis quelques années, c’est la chasse aux « biens mal acquis » en France. Il s’agit, essentiellement des biens de quelques chefs d’Etats d’Afrique centrale et de leurs rejetons qu’ils ont eu l’imprudence d’aller acquérir en France au lieu d’investir cet argent dans leurs propres pays. On les accuse d’avoir acheté ces biens malhonnêtement, par la corruption et les détournements de fonds. Cette chasse ne concerne que les Africains, parce que les sommes folles que les émirs et princes consorts des pays arabes dépensent en France et partout en Europe et aux Etats Unis sont parfaitement bien acquis. C’est en Arabie saoudite que le prince héritier a fait arrêter plusieurs princes de sa famille pour corruption. Les Européens, eux, n’étaient pas au courant de la corruption dans ce pays.
Tous les jours, on vient nous faire la leçon sur la nécessité de bien gérer nos pays, et surtout de tourner le dos à la corruption, on nous tire les oreilles comme à des gamins, et on nous fait le chantage de la nécessaire bonne gouvernance avant de nous accorder des prêts que nous rembourserons. Et l’Europe fustige toujours la Chine qui nous donne de l’argent sans s’assurer que nous ne sommes pas des corrompus. Notre signe distinctif, à nous Africains, est la corruption. Ce sont eux qui publient régulièrement les fortunes de nos dirigeants, histoire de nous faire savoir qu’ils sont des voleurs. Et pourtant !
En Italie, le socialiste Bettino Craxi fut investi président du Conseil en 1983. Mais il dut démissionner en 1987. En 1992, mis en cause dans un scandale de corruption, il s’enfuit en Tunisie où il finit sa vie en 2000. Toujours en Italie, Silvio Berlusconi, un autre président du conseil qui est l’homme le plus riche d’Italie, a été l’objet de plusieurs poursuites judiciaires pour des affaires de corruption ou de mœurs. En France on ne compte plus les scandales financiers qui ont touché des personnalités politiques y compris des chefs d’Etat.
Depuis quelques années, l’église catholique est secouée par le scandale des prêtres, évêques et cardinaux pédophiles. Il ne s’agit pas de quelques cas isolés, mais de milliers de cas sur tous les continents depuis des décennies. On se rend compte aujourd’hui que cette église qui est venue brûler nos idoles et qualifier notre spiritualité de démoniaque, n’est qu’une vaste entreprise de pédophilie. Sans compter que le Vatican est régulièrement secoué par des scandales de corruption et de blanchiment d’argent sale.
Et maintenant, c’est à l’Union européenne que l’on découvre des eurodéputés corrompus jusqu’à la moelle par le Qatar.
Notre problème, à nous Africains, est que nous n’avons aucune foi en nous-mêmes, et nous attendons que ce soit les autres qui viennent nous dicter ce que nous devons faire, ce en quoi nous devons croire. Par exemple, tant que les Européens n’ont pas certifié nos élections, elles n’ont aucune valeur pour nous. Sans nous douter qu’ils sont pires que nous sur bien des plans. Nous n’avons commencé à nous intéresser à notre art et à toute la production artistique de nos sociétés ancestrales que lorsque l’Européen s’y est intéressé. Le jour où nous verrons des Européens se convertir à nos religions traditionnelles, nous commencerons alors à nous y intéresser. Préparez-vous. J’ai vu un reportage sur des Français qui se sont convertis au vodou.
Revenons à nos propres valeurs. Définissons nous-mêmes nos règles, créons nos cadres et institutions pour bien gouverner nos pays dans la justice, créons les mécanismes pour sanctionner ceux d’entre nous qui enfreignent ces règles et n’attendons plus que ce soit les autres qui viennent nous admonester comme des gamins. En Afrique du sud le président Jacob Zuma a été emprisonné pour fait de corruption, et son successeur, le président actuel, a échappé de justesse à la destitution parce qu’on a volé une forte somme d’argent chez lui et il ne l’a pas déclarée à la police. Au Botswana, petit pays proche de l’Afrique du sud, il faut se lever de bonne heure pour corrompre un agent de l’Etat ou pour être corrompu. C’est dire que c’est possible. Personne n’ira dicter à ces pays comment se tenir. Cessons de nous infantiliser en attendant que ce soit des personne plus corrompues que nous qui viennent nous gronder chaque fois que nous avons un écart de comportement. Il est temps pour nous de nous comporter en adultes.
Venance Konan
