Dans cette entrevue, Yéo Paul Martial, parle de sa vie dans le football. L’ex-sélectionneur des Eléphants qui a offert à la Côte d’Ivoire son premier trophée continental à l’issue de la CAN Sénégal 1992, celui-là même qui a coaché le Réveil Club de Daloa, l’Usc Bassam, l’Africa Sports d’Abidjan…, évoque les difficultés qu’il a rencontrées sur le banc de touche des Eléphants, son passage à l’INJS, sa vie d’instructeur FIFA, non sans jeter un regard rétrospectif sur ses premiers pas au foot à Bobo Dioulasso dans « la Haute Côte d’Ivoire », puis au Sacraboutou Sport de Bondoukou. Yéo, l’ex-gardien de but a, par ailleurs, dit ce qu’il pense du Comité de normalisation de la FIF. Interview !
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Vous avez été certainement récompensé quand vous avez été le premier de votre promotion à l’INJS ?
Malheureusement, non ! Les trois premiers devraient aller en stage en France. Mais moi qui suis le major de la promotion, on m’a affecté à Bondoukou, dans un CEG (Collège d’Enseignement Général, ndlr). C’est en ce moment-là que j’ai compris qu’il fallait « avoir les bras longs » c’est-à-dire avoir des connaissances au plus haut de l’administration pour bénéficier des avantages. Et tenez-vous biens, c’est plutôt le deuxième, le troisième ainsi que le quatrième vont en France pour un stage. Après deux ans passés au CEG de Bondoukou, l’AS Fonctionnaire, mon ancien club vient jouer contre le Sacraboutou Sport de Bondoukou. Mes ex-dirigeants étaient agréablement surpris de me voir. Et dans leurs plaisanteries, ils ont informé le préfet de Bondoukou que je suis un grand gardien de but qui a joué dans leur club. Il n’en fallait pas plus pour que je rejoue. Le gardien titulaire du Sacra étant blessé, le préfet qui sait désormais que je suis un bon gardien, a dépêché une voiture, une 404 Peugeot, une voiture de luxe en son temps, pour venir me chercher pour me faire jouer la finale contre l’Africa Sports. Mes amis qui me connaissent et qui savent que je n’ai pas joué depuis longtemps se demandaient pourquoi j’accepte ce challenge. Je n’y pouvais rien, quoiqu’il en soit. A quelques minutes de la fin du match, nous faisions jeu égal avec l’Africa, 0-0. Finalement le match s’est terminé en queue de poisson parce qu’il l’arbitre qui tenait à favoriser l’Africa, a inventé un penalty et nous nous sommes opposés. Finalement il n’y a pas eu de vainqueur, le match s’est achevé en queue de poisson. Toutefois les dirigeants du Sacraboutou ont apprécié ma prestation et c’est ainsi que je suis devenu le gardien titulaire de cette équipe.
Que s’est-il passé par la suite ?
Dès lors, comme j’avais renoué avec le football, j’ai décidé de faire mon deuxième degré d’entraîneur de foot puisque j’avais eu le premier degré quand j’ai opté pour le foot à la fin de la formation à l’INJS. Mais je tiens à préciser qu’en sortant de l’Institut, j’avais déjà mon deuxième degré de diplôme d’entraîneur en athlétisme, le deuxième degré au handball. Comme je jouais déjà en première Division, on m’a octroyé une bourse pour aller me former davantage en France où j’ai fait le troisième degré d’entraîneur de foot avec succès à Paris puis à Vichy. J’y étais avec Djédjé Benjamin (ex-sélectionneur des Eléphanteaux, ndlr). C’était en 1974, c’est-à-dire 7 ans après ma sortie de l’INJS.
Vous êtes donc revenu avec de France avec diplôme de 3e degré en poche…
Oui. J’en étais fier ! Le ministre des sports d’alors, Etienne Ahin, était un fervent supporter du Stade d’Abidjan. Dès ma descente d’avion, je suis allé directement au stade pour coacher le Réveil Club de Daloa qui jouait un match capital avec le Stade d’Abidjan. Le Réveil ne devrait pas perdre cette rencontre au risque de descendre en 2e Division. Il fallait absolument gagner ou à la rigueur, faire un match nul. Finalement, il y a eu match nul, 0-0, et le Réveil s’est maintenu en 1ère Division. Après ce match, le ministre Ahin voulait vaille que vaille que j’entraîne le Stade d’Abidjan. Poliment, j’ai décliné l’offre parce que je voulais rester au Réveil. Je vous apprends que quand je finissais mon professorat à l’INJS, j’avais les même diplômes qui pouvaient permettre d’être sélectionneur national au judo, à la boxe, au handball où j’étais juge arbitre international et en athlétisme. Me Ouattara Pascal, le patron du judo en Côte d’Ivoire en son temps, voulait à tout prix que j’entraîne la sélection nationale de judo.
Avez-vous accepté ?
Non ! Quand j’ai fini, l’USC Bassam m’a sollicité et je suis allé toujours en tant qu’entraîneur. J’y ai fait trois saisons et j’ai été trois fois vice-champion de Côte d’Ivoire. N’eussent été les magouilles de certains grands dirigeants d’Abidjan, je serais champion de Côte d’Ivoire plusieurs fois puisqu’à chaque saison, j’avais la meilleure attaque et la meilleure défense. Des dirigeants venaient corrompre mon gardien, des défenseurs pour qu’ils provoquent des penalties etc. (Il éclate de rires). Avec Bassam, j’ai même joué, en 1983, la demi-finale de la Coupe Ufoa face à une équipe du Ghana. J’avais de grands joueurs tels Niang Seydou, Abé Adou Simon (qui fait partie du Comité de Normalisation de la FIF, il était magistrat à Lausane…), Bléhiri Aurelien, Ousmane Bamba, Tata Léhoun et Boty Simplice qui était mon capitaine. Ils étaient tous étudiants.
Et après Bassam, où avez-vous déposé vos valises ?
Après, en 1983, des proches sont allés voir le président de la FIF qui été Brizoua Bi, pour leur dire que je suis un bon entraîneur et qu’il serait bien qu’on me permette de former une sélection nationale juniore. Ils ont pu convaincre mes dirigeants de Bassam et c’est ainsi que je suis devenu sélectionneur national des Eléphanteaux. J’avais des joueurs comme Oumar Ben Sallah, Tiéhi Joël, Gadji Cely, Aboulaye Traoré, Kassi Kouadio. Alain Gouaméné, lui, je le connaissais depuis Daloa. Il jouait au handball depuis l’âge de 9 ans. Alain était allé voir ma fiancée qui était devenue plus tard mon épouse, pour lui dire qu’il souhaitait qu’elle l’aide à devenir un grand sportif. Elle lui dit que tu joues au handball mais la personne que je connais, est entraîneur de foot. C’est ainsi que j’ai récupéré Gouamené en Seconde, à Bingerville. Après je l’ai formé et je l’ai pris comme 3e gardien en junior… Et par la suite, je suis retrouvé à la tête de la sélection nationale de Côte d’Ivoire.
Et c’est vous qui avez conduit les Eléphants au Sénégal à la CAN 1992 remportée par la Côte d’Ivoire ?
Oui ! J’avais une très bonne équipe avec des joueurs que connaissais depuis longtemps.
Avant de partir au Sénégal pour la CAN en 1992, aviez-vous des appréhensions ?
Non, pas du tout ! Si tu ne connais pas les rouages de notre football et que t’y jettes, tu vas en pâtir assurément. Certes ce n’était pas facile avec la méchanceté des hommes. Mais j’ai su déjouer tous les pièges. Ainsi, en 1992, je suis le sélectionneur de la Côte d’Ivoire. Je suis allé avec des joueurs que je suivais depuis longtemps comme je viens de vous le dire. Nous sommes allés au Sénégal et nous avons ramené le grand trophée continental à Abidjan. Inutile de revenir sur cette épopée puisque tous les Ivoiriens s’en rappellent certainement comme si s’étaient hier.
Et après cette aventure fructueuse de Sénégal 92 ?
Après, il y a eu le Tournoi des cinq continents en Arabie Saoudite. Nous devrions y participer. Mais je me rends compte que des tractations se faisaient dans mon dos. Ils sont venus me voir si Philippe Troussier pouvait partir avec moi sous prétexte qu’il y a beaucoup de joueurs, 9 plus précisément, de l’Asec Mimosas en sélection nationale. Je leur ai répondu que sur les 16 joueurs sélectionnés, certes il y a 9 de l’Asec mais il y avait 7 de l’Africa. Et que si tel était le cas, qu’Ibrahim Sunday, qui était le coach de l’Africa soit aussi du voyage. Le cas échéant Troussier n’ira pas avec moi. L’atmosphère n’était pas du tout bonne. Finalement nous sommes arrivés avec un jour de retard. Le lendemain de notre arrivée, nous devrions jouer contre l’Argentine et nous avons perdu 5-2. Face aux Etats Unis, on perd 4-2, Les joueurs étaient tous démotivés donc nous sommes allés pour servir de faire-valoir finalement. A notre retour, il était question qu’on me limoge parce que nous avons fait piètre figure en Arabie Saoudite. Et que Troussier devrait prendre ma place et que je serais le Directeur Technique National (DTN). Et dire que malgré toutes ces persécutions, je ne percevais pas d’indemnité, je n’avais pas de salaire en tant que sélectionneur national de Côte d’Ivoire. Je ne vivais que de mon salaire de professeur d’EPS. Et cela, depuis que j’étais le sélectionneur de la Côte d’Ivoire avec laquelle j’ai fait Egypte 86, Maroc 88 jusqu’à Sénégal 92. Depuis tout ce temps, je n’ai jamais reçu d’indemnité de l’Etat de Côte d’Ivoire. Cette maison où nous sommes (Angré 7e Tranche, ndlr), je l’ai construite avec les primes et les indemnités que la FIFA me donnait quand j’étais instructeur FIFA pendant plusieurs années. Si j’étais médiocre, la FIFA ne m’aurait pas retenu. Il n’y avait que 2 instructeurs en Afrique qui avaient été retenus par la FIFA. Il s’agit du Tunisien Belhassen Malouche, actuel DTN au Qatar et moi. Il me demande de venir l’épaulé là-bas. J’ai décliné l’offre parce que même si je serai très bien payé comme Malouche le dit, à 75 ans, je préfère rester et prendre soin de ma santé.
Entretien réalisé par E. D.