La fabrication et la vente des appareils optiques (verres pharmaceutiques, montage de montures, etc), jadis réservées exclusivement aux opticiens et aux spécialistes de l’optométrie, sont depuis tombées aux mains de personnes qui n’ont aucune notion en la matière. Il est revenu de manière récurrente, selon des témoignages recueillis auprès de certaines personnes, qu’une bonne frange de ces individus qui se font passer pour des opticiens figurent parmi les nombreux vendeurs de lunettes banales, qui pullulent dans les marchés, les gares routières et dans des rues à Abidjan. Vendre des lunettes solaires est une activité que n’importe quelle personne dotée d’un peu d’intelligence peut mener. Mais fabriquer des lunettes pharmaceutiques, faire le montage des montures et autres pour les vendre à des personnes qui souffrent de maux d’yeux est une activité bien différente. Car elle est exercée par des praticiens qui ont suivi des formations appropriées.
Pour vérifier les témoignages qui ont été rendus, nous avons pris langue avec l’un de ces prétendus opticiens en début de soirée le mercredi 23 décembre 2020. Il se trouve à quelques pas des locaux du siège d’une compagnie de téléphonie mobile dans la commune d’Abobo, situé du côté opposé de la mairie. Il est équipé d’un plateau en bois sur lequel sont exposées des lunettes, ainsi que des téléphones portables et accessoires de ceux-ci. Au cours de la conversation que nous avons avec lui, il ne fait pas de difficulté à affirmer qu’il vend des lunettes pharmaceutiques, hormis les lunettes ordinaires et les autres articles. Malheureusement, au moment de notre passage, il était en rupture de stock. Comme il n’est pas le seul dans la périphérie à exécrer cette activité, il nous oriente vers un autre installé du côté opposé de la route, à quelques pas de la boulangerie. Approché, ce dernier qui était en pleine causerie avec certains de ses voisins, s’est empressé de nous rejoindre. Il répond tout de go qu’il commercialise des verres pharmaceutiques. En parlant, il fait sortir précautionneusement des verres pharmaceutiques, qu’il a pris le soin d’emballer dans un sachet noir dissimulé dans ses bagages.
Certains de ces pseudos opticiens se prennent très au sérieux. Au point d’afficher des allures de dirigeants de structures bien organisées. L’un de ceux-là se fait appeler ‘’Hamed optique’’. Avec lui, nous avons échangé le jeudi 17 décembre 2020. Il exerce à l’entrée de la gare des autobus à Adjamé. Rien d’autre ne le différencie des autres vendeurs cités précédemment. En effet il ne dispose en tout et pour tout que d’un plateau et d’une petite table sur laquelle sont placées des lunettes et des montures. Ce vendeur de lunettes a affirmé que c’est par ce surnom qu’il se fait identifier dans ce coin, où exercent d’ailleurs plusieurs autres vendeurs de lunettes.
Il n’y a pas que les quartiers populaires du district d’Abidjan qui abritent ces prétendus opticiens. Il y en a également dans la commune du Plateau. Où, l’un des lieux abritant plusieurs de ces vendeurs se trouve être le rez-de-chaussée de l’immeuble Nogues, situé en face de l’ancien marché de ladite commune. Le jeudi 17 décembre 2020, après avoir pris congé du promoteur ‘’Hamed optique’’ à Adjamé, nous mettons le cap sur le Plateau. Précisément à l’immeuble Nogues. A peine arrivés sur place que nous sommes abordés par un homme se prénommant Gilles, apparemment septuagénaire. Qui propose ses services pour l’achat de lunettes pharmaceutiques. Après quoi, il nous conduit dans son bureau. L’endroit est bien aménagé. Il n’a absolument rien à avoir avec le décor approximatif de ‘’Hamed optique’’ et ses deux compères de la commune d’Abobo. Les lunettes sont disposées derrière des baies vitrées. Il n’est pas seul dans le bureau. Nous y trouvons une dame s’entretenant avec une personne, qui est probablement là pour des problèmes d’yeux. Ces prétendus opticiens semblent mieux organisés. Gilles laisse entendre qu’il peut nous conduire chez un ophtalmologue, non loin, avec qui ils travaillent pour une consultation, moyennant 5 000 Fcfa. Car nous lui avons fait croire que nous avons oublié notre ordonnance à la maison.
La question évidente que l’on ne peut s’empêcher de se poser, est de savoir la ou les raisons pour lesquelles des personnes malades des yeux ont recours à ces vendeurs non spécialisés de verres pharmaceutiques ?
La principale raison avancée est le coût relativement bas des verres qu’ils proposent. En témoigne Georges Koffi, enseignant dans une école primaire privée à Abobo. C’est sur les conseils d’un de ses amis qu’il a acheté des verres pharmaceutiques au prix de 2 500 Fcfa, auprès d’un vendeur ambulant à la nouvelle gare routière d’Adjame. « La plupart des vendeurs de lunettes solaires vendent des lunettes pharmaceutiques. Ces verres coûtent 2 000 Fcfa », lui aurait confié son ami. Quand Georges a fait le retour de son achat, son ami lui a répondu qu’il s’est fait avoir, en ce sens que ce type de lunettes ne coûte pas plus de 2 000 Fcfa. Un prix, qui a l’apparence, semble intéressant. Mais est-ce qu’à ce prix la qualité est de mise ? A ce sujet, l’instituteur déclare que son ami lui a confié que pour vérifier la qualité des lunettes achetées, il fallait les porter et être en mesure de pouvoir lire sans difficulté. En plus, il lui a été conseillé de les porter pendant au moins 5 minutes et s’assurer qu’il ne ressent pas de douleur à la tête et à la nuque.
Mais cette précaution ne semble pas suffire. Raison pour laquelle ‘’Hamed optique’’ propose des coûts plus élevés pour ses prestations. Ainsi pour les verres pharmaceutiques progressifs anti reflets photo gray avec la monture, il faut débourser 60 000 Fcfa. Les mêmes verres hormis la disposition pour éviter la migraine coûtent 40 000 Fcfa. Quant aux verres progressifs anti reflets photo gray y compris la disposition contre la migraine sans monture, ils sont vendus par ‘’Hamed optique’’ à 50 000 Fcfa. Et 35 000 Fcfa pour les mêmes verres hormis le dispositif anti migraine. ‘’Hamed optique’’ ajoute sur la même lancée que, quand il finit de monter des verres, il offre la possibilité au client d’aller vérifier leur qualité où bon lui semble.
Est-ce pour autant qu’il faut recourir aux vendeurs de verres pharmaceutiques dans les rues, ou du moins ceux qui ne sont pas autorisés à le faire ? A cette interrogation une ophtalmologiste exerçant au cabinet d’ophtalmologie « Réseau des amis des malades des yeux et autres » (Ramya), situé à Abobo-centre, répond par la négative. Selon notre interlocutrice, quand une personne souffre de maux d’yeux, elle doit se rendre premièrement dans un cabinet ophtalmologique. Si la consultation requiert l’usage des lunettes pharmaceutiques, cette dernière doit alors se diriger vers une maison d’optique et non chez un vendeur dans la rue. Pour se justifier, la spécialiste en ophtalmologie dira qu’avec l’opticien, les verres sont garantis, sécurisés. En plus en cas de défaut de fabrication, l’opticien peut les refaire.
En outre, elle déconseille les lunettes de la rue car pour elle, ils peuvent aggraver la maladie du patient dans la mesure où, les lunettes vendues dans la rue ne sont pas manipulées comme il se doit. Les doigts, le vent, la poussière, et autres peuvent les endommager. « Il faut que les malades des yeux voient les verres pharmaceutiques comme des médicaments. De la même façon qu’on ne doit pas acheter les médicalement dans les rues, c’est de cette même façon qu’ils ne doivent pas acheter les verres pharmaceutiques dans les rues », dira-t-elle. Et d’ajouter « La vue, c’est la vie ».
Junior Jeremy