La communauté musulmane du monde entier et particulièrement celle de la Côte d’Ivoire a entamé le vendredi 24 avril, le mois du jeûne de Ramadan. Mais dans une situation marquée par la pandémie du coronavirus qui a déjà occasionné de nombreux décès à travers le monde.
En Côte d’Ivoire, la situation est tout aussi inquiétante. Le pays est à ce jour à 1183 cas confirmés dont 525 guéris et 14 décès. Du moins au moment où nous écrivions ces lignes.
C’est dans ce contexte que les musulmans ivoiriens qui représentent plus de 40 % des communautés religieuses du pays vivent depuis une semaine, le 4è pilier de l’Islam durant lequel, le livre saint qui est le Coran a été révélé au Prophète Mohamed (Paix et Salut de Dieu sur Lui).
Un mois de spiritualité intense où les fidèles se privent de manger, de boire, d’avoir des rapports intimes avec les conjoints (époux ou épouse) du petit matin jusqu’à la tombée de la nuit. De même qu’ils se doivent de multiplier les actes d’adoration et de solidarité.
Mais avec le coronavirus et les mesures prises par les autorités suivies en cela par les guides religieux, il va sans dire que le jeûne de cette année n’est à nul autre pareil. Tant il est marqué par des contraintes qu’impose la crise sanitaire et auxquelles chaque jeuneur est tenu de s’adapter, dans l’observance de ces journées de pénitence et d’adoration
Dans la commune populaire de Treichville où réside une forte communauté de musulmans, le ramadan se vit certes. Mais, dépourvu de cette ambiance qu’il avait de tout temps affichée ici et là, dans les différents quartiers.
Cette journée du vendredi 24 avril, premier jour du carême, à la grande mosquée de la commune, située à l’avenue 8 rue 15, d’habitude prise d’assaut par les fidèles, c’est le calme plat. Toutes les entrées de ce lieu de culte sont fermées. Seuls quelques commerçants de chapelets et des vendeuses de galettes sont installés loin de la mosquée. La raison est toute simple. L’imam Cheick Bakary Konaté, en application des mesures arrêtées par le gouvernement et sur consignes du COSIM a interdit également tout rassemblement de foule dans les environs de la mosquée.
A la mosquée du CHU de Treichville, autre lieu de culte très fréquenté, le constat est le même. Mosquée fermée, absence de chapiteaux de prêches.
Cependant le cabinet de l’imam Arouna Koné est ouvert et il nous reçoit.
« Comme vous le constatez, nous subissons les effets néfastes du coronavirus à cause du péché à outrance. Des poupées sexuelles, l’homosexualité, la pédophilie, commises par les humains, on peut penser que Dieu est fâché contre l’humanité. Et notre créateur a dit pour cela qu’il enverra des soldats pour nous faire rentrer dans les rangs. Parmi ceux-ci, il y a la maladie comme le coronavirus actuellement » a témoigné l’imam Koné.
En tant que guide spirituel, et en conformité avec sa hiérarchie que représente le COSIM, des dispositions particulières ont été prises au CHU de Treichville, afin que les fidèles vivent pleinement leur foi.
L’une de celles-ci est le respect scrupuleux des mesures mises en place par les autorités. « L’Islam est une religion d’amour, de paix et de respect. Nos gouvernants et nos guides religieux veulent notre bien. C’est pourquoi, nous devons respecter tous les gestes barrières et les consignes de nos guides. S’il n’y a pas d’attroupements de personnes comme lors des prières et des ruptures collectives de jeûne, nous aurons la chance d’éradiquer le coronavirus. Nous devons multiplier les invocations et inch’allah (s’il plait à dieu), cette difficile épreuve passera » espère l’imam Arouna Koné.
Qui a également décidé, malgré cette situation particulière avec son ONG ‘’ AL MUWASSAT’’ (Espoir en Arabe) d’offrir 5.000 kits de vivres et de non vivres aux familles démunies et affectées par le covid-19 dans toutes le communes d’Abidjan.
La communauté musulmane de Treichville vit le Ramadan 2020 dans cette situation particulière. Toutes les familles que nous avons visitées respectent les mesures prises par les autorités.
Pas de prières en groupe, pas de ruptures collectives sauf en familles.
De nombreux fidèles estiment que le confinement devrait renforcer leur degré de foi et leur permettre de faire beaucoup d’invocations, pour ainsi demander la clémence divine, afin que le coronavirus soit un mauvais souvenir pour les Ivoiriens mais aussi pour le monde entier.
Ailleurs, dans les autres communes de la capitale économique ivoirienne les fidèles musulmans essaient aussi, tant bien que mal d’observer cet important pilier de la religion.
Et chacun y va avec ses moyens du moment. Mais, ce n’est pas toujours aisé pour la plupart. Hamed Compaoré, vendeur de chaussures aux 220 logements à Adjamé, se voit contraint de réduire au maximum les dépenses pour s’en sortir.
Comme son activité tourne au ralenti du fait du COVID 19, son épouse, ses deux enfants et lui se contentent de thé, de bouillie de mil et de baguettes de pains, pour rompre le jeûne. Et rien de plus, avant d’aller au lit. Alors que l’année dernière, la famille consommait du riz, des pommes de terre, des pâtes alimentaires, des omelettes, et autres. Pas donc de repas copieux cette année à la rupture du jeûne, pour cette famille.
Des habitudes modifiées
Mais, il n’en est pas de même pour Daouda Traoré. Chauffeur de gbaka, assurant la ligne AdjaméTexaco- Yopougon, résidant à Attecoube Santai, il ne vit pas les mêmes problèmes que Hamed Compaoré. Il met à la disposition de son épouse, des moyens financiers conséquents pour assurer au mieux les dépenses liées à la confection des repas appropriés à la rupture quotidienne du [MT1] jeûne
Fait remarquable : les nombreux petits commerces de vente de beignets, de jus de fruits, de mets divers qui se multipliaient dans les quartiers pendant cette période de pénitence, ne sont plus aussi présents que par le passé, dans les coins de rue, aux abords des mosquées etc. De plus, les vendeuses ne reçoivent plus autant de clients qu’au cours des Ramadan passés. Il y aussi, ces petits restaurants de fast food, appelés communément kiosques à café, qui ne peuvent plus ouvrir à quatre heure du matin pour satisfaire les jeûneurs, qui doivent se lever pour le « Sahoure ». C’est-à-dire la période consacrée à la prise de l’unique repas de la journée, par les jeûneurs. Cet état de fait, pénalise beaucoup plus les célibataires, ainsi que les ménages qui n’ont pas les moyens de s’offrir des repas confectionnés par leurs propres soins.
En ce qui concerne, le respect des mesures barrières, pas question pour la plupart de nos interlocuteurs d’en faire à leur tête. Notre chauffeur Daouda Traoré, père de famille de trois personnes, dit s’en tenir aux mesures édictées par le gouvernement. Ainsi, les prières du matin, du soir, de même que la longue prière du soir se font individuellement.
C’est le même principe qui est adopté par Zoumana Coulibaly, écrivain et journaliste dans un organe de presse de la place. Toutes les prières chez lui sont effectuées individuellement.
D’autres ménages ont fait le choix de prier ensemble pour maintenir les liens au sein de la famille. Mais en respectant les mesures barrières. C’est le cas de Mohamed Baikoro, propriétaire d’une quincaillerie à Abobo Akeikoi-extension. Il en est de même pour parents de Djénéba Mariko, couturière, résidant dans le même quartier. Ainsi que pour la famille de Fofana Youssouf alias ‘’Tiaco’’ chauffeur de son état.
Les parents d’Amadou Diallo, étudiant dans une grande école, tenant une mercerie dans ledit quartier, procèdent de la même façon que les familles précédentes. Sauf que s’agissant de la longue prière du soir, ils ne se soucient guère du respect de la distance d’un mètre. Selon les explications de l’étudiant, « c’est pour coller aux principes de la religion ».
La pandémie du Covid 19 a modifié les habitudes de certains guides religieux. Amadou Doumbia, muezzin de la mosquée Al Djabat située aux 220 logements Adjamé à une centaine de mètres a l’opposé de la station Texaco, en fait partie. A l’heure de la rupture du jeun, il reste assis de la mosquée bien que fermée. Et là, il reçoit de certaines âmes généreuses de la nourriture.
Qu’il prend soin de remettre à des personnes nécessiteuses qui viennent profiter de ces dons sur ce lieu de prière. Après quoi, les bénéficiaires retournent se restaurer chez eux. Et le muezzin regagne son domicile vers 19 heures.
L’imam Bakary Dao de la mosquée El Hadj Dao d’Abobo Akeikoi-extension déplore pour sa part, le fait que la pandémie a modifié profondément le déroulement de ce mois de jeûne. En effet, les fidèles ne peuvent plus prier ensemble. Ceux qui ont l’habitude d’apporter la nourriture à l’heure de la rupture du jeûne pour les fidèles nécessiteux à la mosquée, ne peuvent plus le faire. « Nous ne pouvons plus offrir la nourriture aux nécessiteux à partir des mosquées, puisqu’elles sont fermées. Ceux qui profitaient de cette nourriture sont malheureux aujourd’hui. En plus, nous ne pouvons plus faire la rupture ensemble à la mosquée comme c’était le cas auparavant ».
Toutefois, l’imam garde espoir. Pour lui, cette situation est bien le fait de Dieu. « S’il a permis que cette maladie apparaisse, il saura agir pour qu’elle disparaisse ». Au total ce Ramadan fortement vécu sur fond de Covid 19 à Abidjan, n’est à nul autre pareil. Vivement prient les uns et les autres, que cette pandémie quitte la Côte d’Ivoire, afin que ces effets néfastes sur les activités quotidiennes, ainsi que les pratiques religieuses comme le Ramadan, soient vite oubliés de tous.
I. Sékou Koné
Jeremy Junior