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Economie

Politiquement incorrect : Franc CFA, nous y sommes, nous devons y rester

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Pour paraphraser un adage bien connu, disons que la monnaie est une chose très sérieuse ; trop sérieuse pour être laissée aux idéologues.
Bien avant la présidentielle française, sans qu’on sache bien le comment du pourquoi, la légion des flagellateurs du franc CFA avait repris de plus belle sa croisade contre la monnaie de la Communauté Financière Africaine que la plupart des pays de l’ancienne Afrique occidentale française, leurs homologues de l’Afrique centrale et les Comores ont en partage.
Plus que jamais, ces milieux de la bienpensance africaine y voient comme un stigmate honteux de la colonisation et l’incapacité pathologique des Etats concernés de rompre le cordon ombilical avec la France plus d’un demi-siècle après les indépendances.
Convenons avec eux qu’au strict plan de la rhétorique anticolonialiste et de l’éthique de conviction chères aux chantres de l’altermondialisme, disposer de sa propre monnaie pour ces pays devait figurer au tout premier rang des attributs de leur souveraineté, au même titre que justifier de forces de défense et de sécurité pour l’exercice du monopole de la violence légitime reconnu à tout Etat indépendant digne de ce qualificatif.
 
Ce n’est pas pour rien que, depuis la plus haute antiquité, battre monnaie et lever des troupes ressortissaient du privilège reconnu aux seuls monarques.
Quand, entre 1793 et 1750 avant notre ère, le roi babylonien Hammourabi inventa l’écriture, ce ne fut point seulement pour graver en caractères cunéiformes sur les tablettes le code qui porte son nom. Il en fit également un moyen de mesure pour l’arpentage des champs et de paiement pour les échanges commerciaux.
Dans la Rome ancienne, César battait monnaie à son effigie dans le secret du temple de la déesse Junon Moneta d’où, soit dit en passant, le terme monnaie tire à l’évidence son étymologie.
De nos jours où seul le peuple est le souverain, il s’en suit que chaque peuple, donc partant chaque Etat, a le droit de battre monnaie même si en aucun plan, il ne justifie d’une masse critique : population ; superficie ; ressources  naturelles ou autres.
Voyez par exemple la Gambie de David Dawda Jawara jadis, de Yaya Jammeh naguère et d’Adama Barrow aujourd’hui, douillettement enkystée dans une faille du grand Sénégal. N’a-t-elle pas le front depuis belle lurette de posséder sa propre planche à billets pour ses dalasis en même temps qu’elle décidait de débaptiser en Banjul, sa capitale, Bathurst ?
Pourquoi le pays de Macky Sall, qui lui sert de bouclier « nucléaire » chaque fois que de besoin, n’a pas, lui aussi et bien avant, émis ses halissguelowarsandaga (1) et que savons-nous d’autre encore ?
Oui, pourquoi les Sénégalais, qui aiment bien à temps et à contretemps se prévaloir de leurs trois cents ans de colonisation, abritent-ils aujourd’hui encore le gouvernorat du Mammon CFA dont le temple gratte le ciel avec superbe sur un des promontoires de Dakar ?
Convenons également avec ceux-là qui ne se lassent pas de bouffer du CFA, comme d’autres aiment à bouffer du curé, que l’arrimage servile de notre monnaie autrefois au franc français et aujourd’hui à l’euro la surévalue parfois et prive nos gouvernements de la liberté de jouer opportunément sur les taux de change pour booster nos exportations. A en croire en tout cas les docteurs des scénarii monétaires.
Ok enfin que le CFA induit dans nos pays un modèle de consommation extravertie qui fait bon dans la bouche, mais handicape nos initiatives locales de transformation agro-alimentaire.
Avec les facilités d’importation qu’offre cette monnaie, les rayonnages et autres présentoirs de nos alimentations croulent en effet sous les produits Danone, Gervais, Nestlé ou autres ; sans oublier les trois cent soixante-cinq qualités de fromage et les vins millésimés de France et de Navarre. Moyennant quoi le petit écolier de la petite bourgeoisie burkinabè peut s’offrir du pain au chocolat au goûter à l’égal de son congénère des bords de la Seine. Même le simple smicard ou journalier de nos villes peut savourer dans n’importe quelle gargote une demi-miche tartinée de beurre Bridel ou Président et arrosée de Bonnet rouge toutes les fois qu’il est fatigué du tô au MKZ (2) ou à la sauce bito (oseille), l’invariable menu du soir des classes populaires.
Avec un tel conditionnement de nos goûts et couleurs, comment voulez-vous que nos laiteries et confiseries à nous prospèrent comme elles le mériteraient ?
 
Voyez le Ghana et la Côte d’Ivoire
 
De là à faire du franc CFA le coupable numéro 1 de l’enlisement économique de nos pays, il devrait y avoir des milliers de pas à franchir. Surtout quand certains caciques de l’analyse macroéconomique vont jusqu’à soutenir que les pays africains libres de leur politique monétaire s’en sortent nettement mieux que ceux qui restent chaperonnés par le Trésor français.
Raisonnons toutes choses égales d’ailleurs comme diraient les logiciens. Prenons donc le Ghana et la Côte d’Ivoire.
Tous deux ont eu la chance d’avoir comme pères fondateurs deux hommes au charisme exceptionnel :
- Francis Nkwame N’Krumah, dit l’Osayuefo (le rédempteur), pour le Ghana ;
- Félix Houphouët, dit Boigny (le Bélier), pour la Côte d’Ivoire.
Tous deux ont été gâtés par les fées de la nature : or jaune, or brun (cacao), or noir à profusion pour l’un comme pour l’autre, sans compter les autres richesses de la brousse et de la forêt africaines. Deux pays de cocagne on vous dit !
Anthropologiquement, Ghana et Côte d’Ivoire partagent le même substrat AKAN avec ses dignitaires traditionnels arborant fièrement leurs ornements dorés comme les généraux romains aimaient exhiber leurs trophées opîmes.
La seule différence, c’est que le Ghana bat monnaie, sous l’appellation de cedi, alors que la Côte d’Ivoire est restée sagement la locomotive du franc laissé par la France en se retirant dans les années 60.
Mais sauf à ne pas savoir ce que « performances économiques » veut dire, on ne saurait soutenir que l’économie ghanéenne est plus performante que celle de la Côte d’Ivoire.
Or, à la date de leurs accessions respectives à l’indépendance, l’ancienne Côte de l’or avait dans la corbeille de meilleurs atouts que son voisin de l’ouest.
Comme l’ont montré des spécialistes tel l’Egyptien Samir Amin, le Ghana avait fait déjà le plein des industries de substitution aux importations dès 1934, c’est-à-dire une vingtaine d’années avant son indépendance le 7 mars 1957.
Mieux, en se retirant, la couronne britannique avait accumulé à la Banque d’Angleterre pour le compte du jeune et nouvel Etat un impressionnant stock de Livres sterlings. C’est en grande partie grâce à ce matelas de devises lourdes que Nkrumah entreprit des projets pharaoniques comme le célèbre barrage d’Akossombo, le port de Téma, l’aéroport Kotoka d’Accra, et qu’il finança avec munificence ses rêves de grand militant panafricaniste (3).
Bref, de nombreux économistes s’accordent pour dire qu’en 1960, le Ghana était au même niveau de développement que la Corée du Sud, qui a elle aussi sa monnaie qu’on appelle won.
Cinquante ans après, le Ghana peut difficilement soutenir la comparaison, puisque le Pays du matin calme (autre nom de la Corée) est classé aujourd’hui 10e puissance économique de la planète Terre. Il nous en donne chaque instant la preuve éloquente avec ses HUNDAY qui sillonnent nos rues, ses écrans plasma estampillés SAMSUNG qui égaient nos salons ou ses tablettes Androïd dont nous, petits nègres, faisons une consommation émerveillée.
Le pays d’Houphouët Boigny n’a pas eu la même chance au départ, exception faite du Canal de Vridi que la France avait fait ouvrir pour la fonctionnalisation du port d’Abidjan et en puisant en grande partie dans l’abondante réserve de main-d’œuvre voltaïque.
Si battre donc sa propre monnaie était une condition suffisante pour accomplir des miracles, le Ghana devrait de nos jours supplanter au moins de haute tête la Côte d’Ivoire, faute de faire jeu égal avec la Corée du Sud.
 
Trop d’idéologie et d’incantations
 
Tout ça pour dire que le procès contre le CFA est beaucoup plus souvent teinté d’idéologie, d’incantations et d’intellectualisme à la petite semaine qu’il n’est soutenu par la raison raisonnante.
On notera à cet égard que mutatis mutandis, ceux-là qui ne se lassent pas de sacquer le CFA au kärcher se recrutent dans les mêmes chapelles que les contempteurs névrotiques de tout ce qui porte le label « francophone ». A commencer par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et tous ses opérateurs institutionnels sans oublier des espaces d’intégration comme l’Union économique et monétaire ouest-africaine, UEMOA, et ses outils d’émission et de financement que sont bien sûr la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la BOAD ou Banque ouest-africaine de développement.
Pour nos chevaliers sans peur et sans reproche de l’indépendance à l’état pur, c’est autant de trouvailles sorties du génie néocolonisateur de l’ancienne puissance tutrice pour perpétuer sa mainmise sur la Françafrique sur fond de paternalisme matois.
On a beau leur dire qu’au jour d’aujourd’hui, c’est librement et sans contrainte, par réalisme et éthique de responsabilité que les pays CFA laissent encore les choses en l’Etat, les dévots de l’antinéocolonialisme vous agoniront de tous les quolibets infammants.
On a beau expliquer que cette discipline monétaire et cette rigueur budgétaire que d’autres nous envient sont les fruits du système CFA, les pharisiens du politiquement correct crieront tout de suite haro sur le baudet.
A quoi bon alors leur parler de ces monnaies africaines pourvoyeuses d’inflation à plusieurs chiffres et accoucheuses d’élites faisant leurs emplettes en dollars US ou même en euros pendant que les masses populaires sont livrées, elles, aux affres du marché noir ?
 
Un CFAphile indécrotable
 
L’auteur de ces considérations, on s’en doute, est un partisan maladif du franc CFA. Il s’empresse d’ajouter qu’il ne comprend que dalle à la dialectique monétaire.
Sa CFAphilie est surtout de l’ordre du sentiment, jugez-en vous-même : à un ou deux ans de plus ou de moins, lui et le franc des Colonies Françaises d’Afrique ont le même âge et c’est peu dire. On les appelait d’ailleurs dans nos contrées les enfants du wakivongo, ou papier-monnaie.
C’est, en effet, dans les années 42-43 que cette monnaie papier a commencé à bien circuler dans les pays de l’Hiterland comme la Haute-Volta (4). Ceux de cette époque se souviennent avec un certain frémissement poétique de la mythique coupure de dix (10) francs frappée au revers d’une superbe gazelle et à l’avers d’un nègre aux formes appoliniennes bandant son arc.
Heureux l’écolier qui pouvait l’avoir en poche le matin pour s’offrir des friandises variées à l’heure de la récréation, ce qui, soit dit en passant, n’était pas le cas de l’auteur de ces lignes, issu, lui, de parents impécunieux (5). Mais sentimentalisme numismatique mis à part, il reste aujourd’hui encore attaché au CFA parce que, pour parler comme Churchill, c’est la pire des monnaies en attendant qu’on nous en trouve de meilleure. Et en attendant cette Arlésienne, comment bouder le plaisir de pouvoir partir de Ouaga, bivouaquer à Bamako et parader à Dakar sans avoir à se soucier du tournis des taux de change dans ces pays, pas plus qu’on n’est angoissé d’aller « farnienter » à Lomé, Cotonou et Niamey ?
 
Nous y sommes, restons-y
 
Un réajustement sémantique s’impose donc quand on parle de cette monnaie : trêve des ritournelles obsessionnelles du genre « il faut quitter », « il faut abandonner » « il faut liquider » le CFA et patati et patata.
Nous y sommes, nous devons y rester tous unis, tous pour un et un pour tous, c’est-à-dire pas question pour l’un ou l’autre des pays concernés de s’aviser d’aller à l’aventure seul, même si des atouts peuvent lui donner l’illusion que c’est jouable. Soixante-quinze ans de monnaie commune, soit-elle arrimée à une devise étrangère, c’est pour nous un acquis, mieux, un patrimoine à préserver jalousement parce qu’elle pourrait faire école pour les projets que caressent des espaces plus grands comme la CEDEAO. 
Les « Oies du Capitole» (6) peuvent donc continuer de criailler : il n’y a pas plus péril en la demeure CFA qu’ailleurs. A ce qu’on dit même, la meilleure croissance du PIB de l’Afrique au Sud du Sahara s’observe de nos jours dans cette zone avec une moyenne de 6%.
A la vérité, on ne cernera jamais complètement les causes de la stagnation des pays africains si on fait fi de certains facteurs anthropologiques.
Repartons en Corée du Sud. Pour avoir sillonné de long en large ce pays plus d’une fois, nous n’y avons pas noté ces phénomènes de régression sociale comme la mendicité, l’oisiveté, la fainéantise qui parasitent les sociétés africaines. Chaque ville est un fourmillement continu où chacun s’occupe à quelque chose dès que le jour se lève. Grâce à un esprit d’entreprise inné, le simple gardien d’immeuble économise won sur won parce qu’il est convaincu de devenir un jour son propre employeur, tandis que dans les classes moyennes, aucun sacrifice n’est trop grand pour la formation des enfants dans les filières les plus pointues et les plus porteuses comme les nanotechnologies. En conséquence, pas de harem, pas de ribambelles d’enfants et pas de dépenses somptuaires comme on aime à en faire étalage en Afrique à l’occasion des mariages, baptêmes et enterrements.
Cela affirmé, on pourra, ou plutôt on devra opérer des réformes dans le CFA comme cela s’était déjà produit dans les années 75 sous la conduite d’un des dignes fils de notre pays, le général Tiémoko Marc Garango, alors grand argentier de la Haute-Volta. Une des conséquences au plan symbolique en fut le transfert du siège de la BCEAO de Paris à Dakar. Pour que le symbole soit complet, peut-être viendra le temps, si ce n’est pas encore le cas, où franchissant le Rubicon, nous ramènerons en terre africaine le fameux compte d’opérations, ou, à tout le moins, nous réduirons au strict minimum le niveau de nos réserves qui y seront stockées.
Il faudra alors, plus que jamais, que notre institut d’émission commune qu’est la BCEAO, à l’image de la Banque centrale européenne (BCE) ou de la Banque des règlements internationaux (BRI), devienne un Léviathan supranational, au-dessus des pays, des chefs d’Etat, des ministres avec leurs sautes d’humeur et autres nègreries. Idem pour la zone BEAC, Banque des Etats de l’Afrique centrale.
Ce sera la seule parade pour ne jamais laisser la planche à billets s’affoler sous peine des pires malheurs pour nos économies.
 
Pierre Emmanuel Kouma
 



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