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Les stigmates du syndrome colonial, obstacles à la démocratie en Afrique

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Après le Congo et le Tchad, la crise post-électorale gabonaise délivre une leçon. Les principes  du modèle colonial d’exercice et de conservation du pouvoir ont été réappropriés par les classes politiques en Afrique Noire. Ces principes régentent, jusqu’à nos jours, le gouvernement des Etats postcoloniaux africains. De l’épisode colonial, il est resté une superstructure étatique construite pour perpétuer la domination, une mentalité, un type de conscience, une technique de gestion et d’exercice du pouvoir.
D’après  le modèle colonial, qui joue encore un rôle normatif en Afrique Noire, le Pouvoir d’Etat  doit être pris par la force selon des modalités diverses. Le coup d’Etat constitutionnel est aujourd’hui la nouvelle version du coup d’Etat militaire, de la conquête coloniale d’un territoire, en vue de l’asservissement de ses populations et du pillage de ses ressources. Le détenteur du pouvoir doit  instrumentaliser l’Etat pour asseoir sa domination personnelle. Le chef d’Etat africain, nouvelle version du commandant colonial, doit accaparer la souveraineté du peuple et s’affirmer comme puissance commandante au-dessus  de la société. La déformation coloniale judicieuse du rôle de la chefferie traditionnelle a permis de légitimer et  d’endogénéiser cette perversion de la fonction du chef de l’Etat en Afrique. Le chef de l’Etat doit utiliser  les moyens de l’Etat, ses leviers administratifs,  l’armée et les forces de police, pour imposer sa domination et son pouvoir personnels. Il doit contrôler le ministère de l’intérieur pour verrouiller les élections afin de protéger l’ordre établi à son profit. Il doit détenir le monopole sur tous les médias pour contrôler l’information et les utiliser pour formater les esprits afin de pérenniser sa domination. La Constitution doit servir  à établir, par le Texte, les techniques d’exercice du pouvoir du Prince, à distribuer les rôles dans l’appareil Etatique de domination. Elle doit servir à protéger les prérogatives du Prince sous l’autorité du droit. Elle doit être réaménagée selon les circonstances pour renforcer son pouvoir et pour assurer son monopole.
 Le chef d’Etat doit autochtoniser sa domination personnelle. Il doit pour cela gouverner le pays comme un chef lignager. Pour asseoir une certaine représentativité de son pouvoir, pour l’ancrer dans la société, il doit construire la nation selon le modèle ethnique et confessionnel. Ce modèle garantit un électorat captif au Prince qui fait la différence dans les élections. Pour parachever le dispositif, il faut  asseoir la tutelle de l’Etat sur la société en empêchant son unification citoyenne. Il faut, pour ce faire, diviser les sociétés multiethniques et multiconfessionnelles d’après leurs lignes de fractures ethniques et confessionnelles et instituer une représentation politique du peuple selon les identités primordiales. Le génie géopolitique du chef d’Etat africain est le legs du génie colonial qui consiste à diviser la société dominée  afin d’y régner en maître incontesté et incontestable. Son machiavélisme est le legs des préceptes de la domination et de la prédation coloniales. L’Etat colonial africain servait les intérêts particuliers des firmes de la métropole et non pas ceux de la société dominée. Conformément à ce modèle colonial, l’Etat post-colonial africain ne doit pas servir l’intérêt général et les intérêts de sa population. Il est destiné à servir les intérêts particuliers du détenteur du pouvoir, de sa famille, de sa parentèle et de sa clientèle.
 
 Depuis plus d’un quart de siècle, les élites et les dirigeants africains ont transformé cet appareillage de domination en héritage jamais remis en question. Camouflés sous le masque et le discours circonstanciel et opportuniste de l’anticolonialisme et de la défense de la souveraineté contre le néo-colonialisme, « les conservateurs », « les progressistes » et les « révolutionnaires » africains utilisent pour leur compte et sans discontinuer ce dispositif étatique, administratif et mental de domination, particulièrement souple et réajustable. Aux autocraties et aux dictatures brutales de la période de la guerre froide, ont succédées, à l’ère de la démocratie, des autocraties et des dictatures soft recouvertes du manteau de l’électoralisme et de l’alternance formelle du pouvoir.
Les traits de la domination de type colonial se retrouvent donc, de nos jours, dans le modèle de gouvernance des Etats africains. L’ultime objectif de la lutte démocratique dans l’Afrique post-postcoloniale est d’en briser les structures, la rémanence et la résilience pour que naisse l’Afrique post-postcoloniale démocratique. C’est un combat intérieur contre nous-mêmes et non pas contre un ennemi extérieur. Il faut lutter contre une mentalité, révoquer une certaine représentation de l’Etat, de l’Administration, des partis politiques, jeter aux orties un modèle de gouvernement et  d’exercice du pouvoir. Il faut dénoncer et révoquer une certaine conception du rôle de l’intelligentsia africaine dont le plus grand nombre se définit comme dominant, intellectuel organique des pouvoirs en place, hagiographe et griot impénitent des détenteurs du pouvoir.
Nième répétition du syndrome colonial après la Côte d’Ivoire en 2010, le Tchad et le Congo récemment, la crise post-électorale gabonaise aujourd’hui, donne l’occasion d’identifier précisément les stigmates de ce passé sombre qui continue de régenter notre présent parce que nous nous les sommes réappropriées comme modèles normatifs. Cette tâche autocritique d’émancipation est d’autant plus vitale qu’en Afrique, les nouvelles fictions de l’ère de l’économie de marché, le prétendu dynamisme économique des pays africains font diversion et permettent de dissimuler ces tares internes qui bloquent toute transformation qualitative des Etats africains.
Dr Alexis Dieth
Professeur de Philosophie

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