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Societe

Rêve de tour Eiffel *

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Il vivait à Yopougon, l’une des communes les plus peuplées du grand Abidjan. Dans sa recherche identitaire de pré-adolescent, il ne se voyait pas continuer à vivre dans cet environnement où la vie pour ne pas dire la survie faisait du quotidien un perpétuel combat. Pour échapper à l’ennui et aux effectifs pléthoriques des classes de son école, il s’était progressivement construit un rêve dans lequel il se voyait scientifique évoluant quelque part en Europe entre Paris Madrid et Berlin. Ce rêve était devenu son refuge, sa drogue son obsession. Il ne vivait que pour lui et par lui. C’était son plus fidèle compagnon, témoin de toutes ses tristesses et porteur de tous ses espoirs. Il savait qu’il lui fallait partir loin de la routine abrutissante de ces travailleurs harassés par leur dur labeur et les transports en commun surchargés. Il n’en pouvait plus de cette ambiance familiale qui se tendait chaque fin de mois, quand l’insuffisance des moyens de subsistance, alimentait une tension aussi insidieuse qu’une douleur lancinante dont on n’arrive pas à se débarrasser.

Il lui fallait partir, ça ne faisait plus aucun doute pour lui. Il ne ferait pas comme ces jeunes qui se lancent dans la traversée du désert et de la méditerranée. Il avait vu un reportage à la télé qui l’avait convaincu que c’était une épreuve très dangereuse. En plus il fallait donner beaucoup d’argent a des passeurs sans foi ni loi qui n’hésitaient pas à abandonner les candidats à l’exode en plein désert ou dans les mains d’esclavagistes. Il ne pouvait compter ni sur ses parents qui n’arrivaient même pas les envoyer à l’hôpital quand lui ou les membres de sa fratrie étaient malades et encore moins sur ses amis dont la seule ambition était de devenir chanteur de zouglou. Pour lui le futur grand scientifique, il ne pouvait y avoir qu’une seule voie pour arriver au pied de la tour Eiffel ; la voie des airs. Un jour qu’un de ses oncles de passage lui avait donné un peu d’argent, il s’était précipité au cybercafé au coin de la rue pour faire une petite recherche sur les avions. Il avait découvert qu’après la fermeture des portes, le seul moyen de pénétrer dans l’appareil était de passer par l’ouverture du train d’atterrissage qui ne se refermait qu’une fois que l’avion avait décollé. Il n’avait pas eu assez d’unités pour continuer sa recherche mais il était sûr qu’une fois le train d’atterrissage refermé il serait assez agile et futé pour trouver le chemin qui le mènerait à l’endroit où se trouvent les passagers. 
L’escalade de la clôture de l’aéroport avait été plus dure qu’il ne l’avait imaginé. Les barbelés lui avaient lacéré les mains et les habits mais bon, il avait réussi à rentrer dans l’enceinte sans se faire repérer. C’était bien la preuve que Dieu était avec lui. Il s’était tapi sur le sol en bout de piste là où les avions marquent un stop avant de lancer les moteurs. Il avait vu ça dans un reportage a la télé. Après plusieurs heures d’attente il aperçut enfin au loin, l’avion d’Air France qui avançait majestueusement vers lui. Il ne prendrait pas l’ouverture du train avant car elle était plus petite que celles situées à l’arrière. Il prendrait une des ouvertures proches des ailes. Maintenant que l’avion était tout proche de lui il fallait qu’il s’élance rapidement, escalade la roue et se blottisse dans un recoin de cet espace. Il ne sait pas comment il avait fait mais le voilà agrippé à une paroi d’un des trains du milieu de l’appareil. Il n’avait pas imaginé que ce serait si bruyant et au fur et a mesure que l’avion prenait de la vitesse, il devait se cramponner des quatre membres pour ne pas tomber. Il était trop près du but. Il ne devait pas lâcher. Au bout de deux minutes qui lui parurent interminables l’avion décolla du sol. Ça y est, il avait réussi, il partait pour la France. Soudain dans un bruit assourdissant le train commença à se replier. Les roues se rapprochaient de lui en tournant a grande vitesse. Dans un effort surhumain, il étendit sa main droite pour agripper un câble qui était tout en haut de sa cache. Il eut à peine le temps de se rouler en boule pour éviter ces roues qui se rapprochaient dangereusement de lui. Trente secondes tout au plus. C’est le temps qu’il avait fallu au train pour se replier et pour que la porte se referme. Il était coincé dans une obscurité profonde. Il n’arrivait pas à bouger. L’air rempli d’une odeur de caoutchouc brulé lui piquait les yeux et les poumons. Pourquoi faisait-il si froid ? pourquoi avait-il si mal à la tête ? il ne savait pas répondre à ces questions. Il décida de se laisser emporter par le sommeil. Il était sûr qu’il se réveillerait en France où il deviendrait un grand scientifique.
C’est drôle cette sensation de flottement. Il voyait son corps au milieu de quelques individus qui s’affairaient. Ils étaient tous blanc de peau. Pourquoi n’arrivait-il plus à ouvrir la bouche ou à leur tendre la main ? Qu’est ce que c’est que cette sensation étrange ? pour la première fois la peur le gagna. Il eut envie de revoir son père. A peine pensa-t-il à ça qu’il se retrouva dans leur salon à yop city. Son père s’apprêtait à aller au travail mais il était inquiet. Il n’avait pas vu son fils depuis la veille et ce n’était pas dans les habitudes de son garçon, de découcher. Il avait comme un mauvais pressentiment. Il ne pouvait malheureusement pas aller à sa recherche. Son patron n’aimait pas qu’il soit en retard et janvier était un mois de forte activité. C’est bizarre il voyait son père mais lui semblait ne pas le voir. Il l’appelait mais son père ne l’entendait pas. Tout a coup son attention reparti vers son corps, les gens le mettait dans un sac à fermeture éclair. Mais qu’est-ce qui se passe ? Il se souvenait qu’il était monté dans le train d’atterrissage de l’avion et qu’il s’était endormi. Et là maintenant, c’était comme s’il avait perdu la notion de l’espace, du temps et de la matière. C’était étrange mais pas vraiment effrayant. Petit a petit il réalisait que plus jamais lui et ce corps qui voulait connaitre la France ne feraient un. Il voyait d’un côté, le visage en larmes de son ami d’enfance et de l’autre sa mère assise prostrée sur le lit coincé entre les cartons et les valises entassés dans la chambre qu’il avait partagée pendant plus de trois ans avec ses frères. Après ils avaient suivi leur père qui s’était remarié Les murs étaient devenus transparent pour lui. Tout n’était plus qu’un grand espace qui se remplissait des images de ses pensées. Il ressentait la douleur de sa pauvre mère. Il réalisa progressivement qu’il était la cause de de toute cette souffrance. Qu’est-ce qu’il regrettait son aventure. En plus à cause de lui des familles entières étaient jetées à la rue par des autorités qui lui en voulaient d’avoir ternis leur image. Alors, au lieu d’admettre que l’adolescent qu’il était n’aurait jamais tenté cette aventure s’il avait eu des perspectives dans son pays, elles préféraient se servir de son histoire pour chasser les miséreux sans pour autant leur donner les moyens de se reloger. Quand l’ivresse du pouvoir empêche de voir la souffrance d’autrui et déshumanise la décision politique, que reste-t-il à espérer ? Cette pensée fit remonter en lui de tristes souvenirs.
 
En tout premier, celui de la mort de sa grand-mère qui n’avait pas pu être soignée parce que dans sa quête du pouvoir, un politicien avait exigé qu’un embargo sur les médicaments soit imposé au peuple dont il espérait présider la destinée. Puis Il se souvint de sa tante qui n’avait pu mettre ses enfants à l’école pendant un an, parce qu’un matin un bulldozer était venu réduire en un tas de gravats, le minuscule maquis qui néanmoins lui permettait de couvrir les besoins de sa petite famille. Il suffisait qu’il parle de sa tante pour qu’il se retrouve prêt d’elle. Dieu qu’elle avait l’air triste. Il se pencha par-dessus son épaule et vit qu’elle pleurait en regardant le dernier selfie qu’ils avaient pris ensemble. Il l’entendait se demander comment cela avait pu arriver. Lui se sentait libre et léger. Il suffisait qu’il pense à un endroit pour qu’il s’y retrouve. Et s’il allait enfin voir cette fameuse tour Eiffel ? A peine avait-il pensé à ça qu’il se retrouva au troisième étage de l’édifice, au sein d’une foule bigarrée qui se prenait en photo sous tous les angles. Il aurait dû être content mais il n’en était rien. Il s’en voulait d’avoir raté son coup et de servir de prétexte a des autorités déconnectées des réelles difficultés vécues par les masses, pour éloigner la misère qu’elles ne supportaient plus de voir. Toutes ces maisons de fortune détruites au milieu de la poussière et des cris de colère et d’impuissance de ceux qui auraient bien aimé vivre dans les meilleurs conditions qui leur avaient été dépeintes pendant la campagne électorale. Alors qu’il sombrait dans une tristesse immense prête à se muer en rage, il se sentit attire par une lumière aussi apaisante qu’éblouissante. L’attirance était de plus en forte et il ne pouvait pas lui résister. Adieu Maman, Adieu Papa. Sachez que je vous aime et qu’une partie de mon rêve d’Europe venait de mon envie de nous sortir de la galère. Adieu politiciens déshumanisés, rendus aveugles par le pouvoir et l’argent. Si vous saviez ce que je vois de votre futur, vous vous mettriez au service de vos électeurs au lieu de les spolier chaque jour un peu plus. Adieu mon cher corps qui m’a servi si fidèlement pendant les quatorze années de ma courte vie. Tu te disloqueras dans la création pendant que moi je me fondrai dans les méandres de l’infini en attendant peut-être de revivre une autre aventure dans les limites du fini…....
* Cette histoire est tirée d’un fait réel mais ne reflète pas l’exact déroulement des chosesJean-Antoine Zinsou



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