Deux incidents majeurs - dont j’ai été témoin oculaire en Côte d’Ivoire, lors de mes deux derniers voyages sur place – ont fini par me convaincre de la nécessité de rendre notre police nationale plus performante. Car cette police n’est pas suffisamment outillée pour répondre aux besoins du people ivoirien.
Il ne s’agit plus de la doter seulement d’engins roulants, notamment des véhicules 4X4, mais plutôt de mieux former nos policiers déjà à l’École Nationale de Police, notamment en matière d’enquête policière et d’éthique, puis, de continuer à renforcer leurs capacités par le moyen d’une formation continue, quand ils sont déjà sur le terrain.
Le premier incident était à fendre le coeur d’un lion. Une dame de ma connaissance, qui fut chassée de son logis par son concubin, mais qui a laissé derrière elle leurs deux enfants âgés de 7 et 9 ans, m’a raconté son désarroi en avril 2018. Sa fille de 9 ans était malade, suite à une série de viols qu’elle a subis, sous la garde de son père. Interrogée, elle accuse son petit cousin du même âge de passer ses doigts entre ses jambes. L’examen gynécologique est cependant formel : jamais le doigt d’un garnement de 9 ans ne peut avoir causé une si large ouverture chez la fillette. C’est forcément suite à des rapports sexuels complets, et répétés, sur une assez longue période, avec un homme adulte, que la petite fille a pu présenter une si large ouverture entre ses jambes. Mais pressée de questions, elle refuse de dénoncer l’adulte responsable.
Je conduis donc la mère au commissariat du 16èmearrondissement à Yopougon pour porter plainte contre X. Cependant, les policiers renvoient la mère bredouille, l’invitant à aller continuer ses investigations, jusqu’à ce que la fillette dénonce nommément l’adulte responsable de son viol. Une fois le nom acquis, la mère devrait retourner vers eux pour une mise à jour de sa plainte. Alors seulement, la police enverrait une convocation au malfrat, ou procéderait à son interpellation.
Je me suis demandé si c’est bien cela la police, telle qu’on la conçoit chez nous. Car ailleurs, telle que je connais Scotland Yard, un crime aussi sérieux ne serait pas traité avec une telle légèreté. La fillette aurait été prise en charge par des agents de police formés spécifiquement pour gérer ce genre de crimes sur des enfants mineurs. Ils sauraient comment lui parler pour la mettre en confiance et extraire d’elle l’information voulue. Des psychologues travaillant avec la police, ou étant du corps, auraient été mis en branle et l’affaire serait tirée au clair. Jamais on ne demanderait à la mère, qui n’est pas de la police, d’aller mener une enquête justement en lieu et place de la police nationale et lui en apporter le résultat. Cinq mois après la plainte de sa mère, cette fillette continue de subir son martyre, dans les mêmes conditions, jusqu’au moment où j’écris cet article.
Le second incident fut causé par des individus masculins, se présentant comme des étudiants, armés de bois de menuiserie, qui agressaient tous les apprentis-chauffeurs des mini bus sur la ligne de Bingerville, au niveau de la Foire de Chine Globale, le mercredi 12 septembre 2018, vers 20h. Sous prétexte qu’un étudiant a eu mailles à partir avec un apprenti-chauffeur, ils s’agrippaient à tout mini bus qui passait par là, faisaient descendre l’apprenti et le tabassaient violemment avec des coups de pieds, de poings et de bâtons. Ils le dépouillaient de tout argent qu’il avait sur lui et s’attaquaient au mini bus suivant.
Les passagers d’un ces mini bus, indignés, encouragèrent leur équipage à porter plainte au commissariat du 18èmearrondissement vers 20h30. La plainte est déposée avec les passagers comme témoins de l’incident, qui venait de se dérouler fraîchement, près de la Foire de Chine qui n’est pas bien loin de là. La police recommande alors que le chauffeur et son apprenti partent et reviennent le lendemain pour ‘’préciser’’ leur plainte. Mais ils ne se déportent pas sur les lieux du crime pour retrouver les agresseurs, ni pour sécuriser la scène du crime, pour ne pas qu’elle soit contaminée. Je me suis exclamé : Quel gâchis !
Une scène de crime violent, où le sang humain a coulé, est bien plus efficace à chaud ou le lendemain, quand elle a été déjà contaminée ? Si nous avons une police scientifique, elle devrait travailler sur laquelle des scènes de crimes ? La scène avec tous les éléments du crime, y compris les résidus d’ADN, le sang, les armes du crime, les acteurs liés au crime – les suspects, les témoins et les victimes – ou la scène contaminée, où aucun de ses éléments ne subsiste ?
Il ne sert de rien de jeter cependant la pierre à cette police. Elle fait de son mieux avec la formation qu’elle a reçue. Ce qu’il convient de faire, c’est de mieux la former dès l’école de police, et de permettre à ceux des policiers qui sont déjà en exercice, de suivre une formation continue. Une coopération avec les meilleures polices au monde seraient la bienvenue. On pourrait envoyer nos formateurs de l’école nationale de police se former ailleurs, en France, en Angleterre chez Scotland Yard ou aux États-Unis chez le FBI. Juste un noyau solide de formateurs de policiers, afin que leur travail soit plus efficient à l’ENP de Cocody. Les commissaires de police pourraient bénéficier ensuite de cette formation au second degré, au sein de l’ENP, une fois que les formateurs seraient revenus de leur stage à l’étranger. Ces commissaires, revenus dans leurs districts respectifs, pourraient assurer la formation continue de leurs éléments ensuite. Car enfin, notre police doit se mettre à niveau, devenir plus performante et pouvoir mieux assurer la protection des personnes et des biens. Elle ne doit plus continuer de faire de l’à-peu-près. Son rendement, pour l’heure, est bien trop en deçà des attentes des populations victimes de crimes. Et c’est tout à fait désespérant de ne pas pouvoir compter sur sa propre police lorsque nous sommes victimes de crimes.
Dr Famahan SAMAKÉ.