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Prothèse vaginale : Lylianne, 75 ans, se cache pour vieillir

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Passez la grille et prenez à droite en direction du bâtiment A. Sur les hauteurs de Saint-Raphaël, l'immeuble de sept étages de Lylianne a des qualités et des défauts. Il est entouré de pins, on sent même la sève de chez elle, au dernier palier. C’est une qualité. De son balcon, on voit un couloir de mer et Saint-Tropez. Malheureusement, on voit aussi des immeubles beiges et la mer ne bouge pas. Tout est figé par la chaleur.
En contrebas du bâtiment, il y a un axe routier sur lequel passent trop de motos et une colonie de pigeons est éloignée des balcons de la résidence par des ultrasons qui fatiguent les nerfs.
C’est ici que vit Lylianne, 75 ans, née plus sobrement Liliane. Le Y et le N ont été ajoutés par fantaisie, pour dire qui elle est vraiment. Il y a encore quelques années, si vous aviez connu Lylianne, mais pas connu Monaco, elle vous aurait proposé d’aller y boire un verre à la tombée de la nuit.
Cette vieille dame a confusément perdu son originalité et son sens de l’action après avoir été opérée d’une descente d’organes. En juin 2011. Et c’est seulement depuis quelques semaines qu’elle sait ce qui lui est arrivé. Elle l'a compris en lisant l'enquête de "l’Obs" sur le scandale sanitaire mondial des prothèses vaginales Prolift.

Prolift antérieur

Avant de la lire, Lylianne ne savait rien des procès aux Etats-Unis et en Australie qui ont eu lieu l’année dernière. Et des incroyables dommages et intérêts qui sont versés à des femmes comme elle, mais américaines (15 millions de dollars, encore récemment).
Comme l’a raconté "l'Obs" l’année dernière, le brevet de la prothèse vaginale Prolift, un tissu en plastique en forme de hamac qui a été conçu dans les années 2000 par neuf médecins français pour soigner les descentes d'organes, a été cédé prématurément au laboratoire américain Johnson & Johnson. Trop épais, il entraînait trop souvent des complications abominables, alors même que son retrait réclamait du génie chirurgical. Cette prothèse, qui a été retirée du marché en 2012, a meurtri le corps de milliers de femmes dans le monde.
En France, depuis la publication de l’enquête de "l’Obs", une vingtaine de femmes se sont réunies dans un groupe Facebook privé. Certaines d’entre elles voudraient lancer une action judiciaire.
L’histoire de la prothèse Prolift a fini par atteindre Lylianne grâce à son fils, abonné à "l'Obs". Subitement, au printemps dernier, une connexion neuronale s’est faite : l'enseignant a fait le lien entre l'article médical lu en octobre dernier et les symptômes de sa mère. On t'aurait pas mis une prothèse vaginale, maman ?
Cela ne lui disait rien, non, mais elle lui a demandé d’envoyer l’article par la Poste. Pour voir. En 2011, Lylianne a eu une intervention chirurgicale suite à une descente d’organes. A l’époque, elle est certaine que le médecin ne lui a parlé que de bandelettes. Le mot prothèse n’a pas été prononcé. Mais en lisant l’enquête, puis le portrait de Cathy, une Niçoise dont le bassin a été bousillé, Lylianne se reconnaît absolument.
Elle prend rendez-vous avec son généraliste qui lui confirme que son autodiagnostic par la douleur est bon. Ce jour de juin 2011, on lui a posé des bandelettes sous la vessie et une prothèse Prolift pour soutenir l’anus. Lylianne a donc déduit de la liste de ses souffrances, sept ans après l'opération, ce que les médecins avaient pratiqué sur elle.

Les yeux fermés

Mi-juillet, Lylianne me reçoit à Saint-Raphaël. La porte s’ouvre sur un appartement comblé d’objets, de tableaux d’ancêtres, de meubles en faux marbre vert turquoise (avec des service de verres à l’intérieur).
La septuagénaire a les bras et les jambes cramés par le soleil, des jolies claquettes roses au pied, et quelque chose du kitsch de Johnny Hallyday dans sa coupe de cheveux. Mais on ne sourit pas du tout parce que par ailleurs, sa bouche est fermée, ses yeux craintifs et son corps ne se meut pas naturellement. C'est comme s'il y avait un porte-épingles en son centre.
Pour nous parler, Lylianne s’assoit bizarrement, la fesse droite surélevée. Du Coca, des cigarettes et elle commence par me raconter sa descente d’organes. Cela peut arriver à tout le monde bien sûr, mais comme Cathy, l’autre victime "portraitisée" par "l’Obs", Lylianne fait partie d’une population à risque : elle a porté du poids au cours de sa vie professionnelle.
Après avoir élevé deux enfants, elle a travaillé avec des handicapés physiques adultes (scléroses, myopathie) qu'elle a déplacés et portés.
"Ma mère est morte d’une polyarthrite aiguë à 50 ans, donc si je dois faire mon analyse, m’occuper d’eux était comme une façon de m’occuper d’elle."
Ses organes sont descendus progressivement et, il y a sept ans, "à la révision des 50.000 kilomètres", on lui a conseillé d’agir. "Madame, on va vous mettre des bandelettes." Oui, d’accord, si vous le dites. Le résultat immédiat : un hématome sur le ventre. Puis une gêne de plus en plus grande dans le bassin.
"Quand vous avez les yeux fermés, ils font de vous ce qu’ils veulent", dit-elle.
Quelques années plus tard, maintenant, Lylianne décrit le quotidien des victimes des complications liées aux prothèses vaginales : une douleur insurmontable, la peur de ne pas réussir à se retenir et des médicaments toute la journée (anti-inflammatoire, anti-douleurs, antidépresseurs).

Peur de salir

Lylianne dit : "J’ai un corps étranger dans le vagin, mais c’est comme si j’avais un œuf brûlant dans l’anus." Le matin au réveil, le premier quart d’heure est tolérable, parce que le corps a été allongé toute la nuit. Mais après le petit-déjeuner, la prothèse se remet à peser et Lylianne a l’impression que son ventre va se vider sous elle.
Comme elle marche avec une canne et très lentement, elle limite ses sorties avec ses amies "pour ne pas abuser de leur gentillesse". Elle s’est forcée à aller à une communion à Narbonne, mais a dû refuser une visite à Versailles avec Monique et ne va plus jamais à Saint-Tropez. Elle essaye de ne pas être chiante, mais elle a fini par dire à son amie Mireille qu’elle ne supportait pas qu’elle tape avec sa main sur le canapé quand elle raconte des histoires "parce que cela résonne jusqu'au cou".
Quand Lylianne a envie de pisser, elle y va, mais ne sortent que trois gouttes. Elle réessaie cinq minutes plus tard, mais rien. C’est quand il ne faudrait pas, que cela se met à couler. Sur les galets de la plage au retour d’une baignade. Les pierres deviennent foncées sous ses cuisses. Ou alors sur le parking alors qu’elle vient de garer la voiture. Quand ça arrive, elle se penche en avant, comme si elle cherchait quelque chose dans la portière de la voiture, pour qu’on ne la remarque pas.
Pour aller à la selle, Lylianne est souvent obligée de mettre un pouce dans le vagin et de pousser vers l’arrière pour que cela sorte par l’anus. Parfois, elle remonte l’intégralité de son ventre avec un gant couvert de vaseline. Elle ne dort plus à l’extérieur de peur salir.
C’est après cette description apocalyptique que Lylianne se tourne vers moi et me dit : "Bon, on va bouffer une pizza au port ?" Une fois assises, elle commande une pizza du chef et un kir et monte en généralités sur les choses de la vie ("si on se sépare, il faut le faire avant 40 ans"). On voit très bien la personnalité conviviale et gaie qu’elle a été. 

"J'avais des réparties"

Lylianne, qui adorait son boulot dans un centre d'handicapés, me raconte avoir un jour mobilisé une partie d'une caserne de soldats pour emmener des gens en fauteuil au théâtre. Ou avoir négocié des vacances aux Baléares avec le directeur, parce qu'un handicapé "raide comme un passe-lacet" voulait prendre l’avion avant de mourir.
"J’étais rigolote, j'avais des réparties. Maintenant, je suis devenue craintive et taciturne."
Elle, qui ne peut plus aller à la messe comme elle aimait le faire (le dimanche à 8 heures, avant de longer la plage pour aller au marché de Fréjus), voudrait que le bon Dieu la prenne, maintenant. Parce qu’il n’a pas l’air de se décider à le faire, la septuagénaire regarde la fenêtre de sa cuisine, au septième étage, avec des yeux interrogateurs.
"Je fume, je picole un peu, et je dors. J’ai envie de rien."
Quelles sont les solutions ? Elle me demande. Je n'en sais rien. Lylianne n'a plus un centime pour se faire soigner (elle gagne 2.000 euros par mois, et rembourse 500 euros jusqu’en 2024).
Elle n’a plus d’énergie pour aller consulter dans les grandes villes proches. Ces dernières années, elle a fait du tourisme médical dans le département pour trouver des remèdes. Mais le retrait de la prothèse, qui colle aux organes, est un acte de bravoure médical et les médecins ont fini par lui dire qu'ils ne pouvaient rien faire de plus. Le risque est de fragiliser sa paroi vaginale déjà trop fine et que les selles se mettent à passer dans le vagin. Sa peur panique est de terminer avec des poches.
"Je préférerais être sûre qu'on me réveille pas dans ce cas-là."

Incinérez ma carcasse

Au restaurant, Lylianne me raconte aussi le drame qui a marqué sa vie. C'était il y a trente ans. Elle rentrait du village VVF de la Grande-Motte avec des handicapés dont elle avait la charge. Elle conduisait le camion. Au niveau de Montélimar, un pneu a éclaté. Elle a donné un tout petit coup de volant à gauche pour ne pas percuter les voitures de droite et le camion s’est couché.
Une de ses collègues est morte. Elle-même a terminé dans une coquille de plâtre avec trois fractures à la colonne vertébrale. Elle dit : 
"La vie est une tartine de merde."
Elle est pragmatique, endurcie, courageuse. 
En rentrant chez elle, Lylianne me montre une petite carte plastifiée qu’elle possède en plusieurs exemplaires (une dans sa voiture, une dans son porte-monnaie, une dans l'entrée de son appartement). Cette carte dit qu’elle veut donner son corps aux étudiants en médecine – "si vous ne pouvez plus rien prendre pour sauver la vie d’autrui" – et se termine par un : "Incinérez ce qui restera de ma carcasse après."
"Je pense à ma petite-fille Manon qui fait médecine et plus. Où que je sois le jour de mon décès, prévenir la fac de médecine la plus proche."

Sainte-Maxime

On arrive ensemble à cette conclusion : sa seule chance de bien vivre ses dernières années serait qu’un excellent chirurgien vienne l’opérer gracieusement à Saint-Raphaël.
Or le Pr Bernard Jacquetin, l’un des inventeurs les plus éminents de la prothèse Prolift, a l’habitude de passer ses vacances à Sainte-Maxime, où il fait du bateau chaque été. C'est ici que nous avions passé une journée avec lui, l'année dernière. J'essayais de comprendre quel était le degré de remords et de culpabilité des inventeurs de la prothèse.
C’est donc à quelques kilomètres l'un de l’autre que respirent, chaque été, une femme de 75 ans ayant la sensation d’avoir un œuf brûlant dans l’anus et shootée aux anti-inflammatoires, et un grand professeur de Clermont-Ferrand à la retraite ayant touché des royalties pour avoir inventé malgré lui et vendu trop vite au marché un instrument de torture.
J'envoie un SMS au Pr Jacquetin pour lui demander si on peut le voir, Lylianne et moi, le lendemain matin. Il me répond qu'il ne sera pas là avant la fin du mois d’août, mais il me demande de lui laisser les coordonnées de Lylianne. Avant de me laisser partir, elle me demande :
"Vous croyez qu'il va appeler ? Moi, je ne crois pas qu'il va appeler."
Plus tard, elle m'envoie plusieurs SMS dans le train. Le dernier se termine par : "Bonne chance à vous gentille madame." Ce qui est un comble, tellement c'est l'inverse qui est urgent.



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