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Côte d'Ivoire : " Quand on refuse on dit non" d'Ahmadou Kourouma

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Ahmadou Kourouma a quitté le monde des lettres et des vivants le 11 Decembre 2003. Le géant ivoirien est parti sans avoir eu le temps d’achever son oeuvre . Il était en train d’écrire un roman sur l’histoire de la Côte d’Ivoire et sur le conflit qui endeuille son pays depuis le 19 septembre 2002. 
 
Son manuscrit est aujourd’hui édité par les éditions du Seuil sous ce titre : Quand on refuse on dit non. Ce roman a pour toile de fond les événements dramatiques du pays en guerre. On y retrouve le petit Birahima, l’enfant-soldat gouailleur et futé d’Allah n’est pas obligé. Il a fui « le pays sauvage et barbare du Liberia » pour se retrouver chez son cousin, à Daloa, ville du sud-est ivoirien où il est aboyeur pour une compagnie de taxis-brousse. Vie tranquille. Birahima, qui tente de parfaire son éducation, est même amoureux de Fanta, la fille du troisième imam de la mosquée, « belle comme un masque de gouro ».
 
Jusqu’à ce que « la guerre tribale » éclate.La jeune femme décide de fuir vers le Nord. Elle propose à Birahima, qui sait se servir d’une kalachnikov, de l’accompagner. Trop content. Mais le voyage ne ressemble pas vraiment à une lune de miel...
 
Contre l’ivoirité
 
Tout au long de leur périple, Fanta se propose de raconter l’histoire de la Côte d’Ivoire à Birahima. Le temps de la fuite côtoie celui de l’Histoire dans ce récit enlevé, qui se dévore d’une traite et n’épargne personne. D’Houphouët-Boigny, qui a laissé la corruption généralisée s’installer, à Laurent Gbagbo, élu lors de « la plus calamiteuse des élections qu’eût connues la Côte d’Ivoire dans sa brève vie démocratique », en passant par Henri Konan Bédié, « qui fit sienne l’idéologie de ‘l’ivoirité’ », et Robert Gueï, général d’opérette manipulé et dépassé par les événements...
 
Pour autant, le livre n’est pas un règlement de comptes. Il prêche la tolérance et, logiquement, détruit le concept même d’ivoirité. « Les ethnies ivoiriennes qui se disent ‘multiséculaires’ (elles auraient l’ivoirité dans le sang depuis plusieurs siècles), c’est du bluff, c’est de la politique, c’est pour amuser, tromper la galerie », analyse Birahima à la lumière de ce que lui raconte Fanta. Puis, plus loin, Kourouma écrit : « L’ivoirité est le nationalisme étroit, raciste et xénophobe qui naît dans tous les pays de grande immigration soumis au chômage. »
 
Dernier défi
 
Ce dernier roman est comme un testament laissé par l’écrivain à ses compatriotes, les suppliant d’arrêter les tueries. 
A travers les yeux (et les oreilles !) de Birahima, il tente de faire passer le simple message de la paix, pourtant si difficile à appliquer. L’ex-enfant-soldat interprète les leçons de Fanta de façon naïve et pertinente à la fois. C’est un régal d’écriture...... La dernière phrase du livre est probablement la dernière qu’ait écrit Kourouma qui, jusque sur son lit d’hôpital, à Lyon, a continué son récit avec opiniâtreté sur son ordinateur portable qui ne le quittait pas.
 
Ce fût son dernier défi d’homme et d’écrivain : « Comment rendre compte d’une histoire en train de se faire et de se défaire constamment sous nos yeux ? Comment achever le roman d’un pays qu’on n’a pas fini de voir naître ? », s’interroge Gilles Carpentier, l’éditeur. Qui explique : « En écrivant ce livre dans l’urgence (huit mois de travail ininterrompu), lui-même contraint à un exil dont il ne voulait pas admettre la fatalité, Ahmadou Kourouma savait qu’il ne faisait pas seulement œuvre littéraire. Plus encore que ses autres livres, celui-ci s’inscrivait dans une perspective politique et civique. Il lui fallait être à la fois précis et pressé. »
 
Une ivoirité-racine anthropique
 
Il n’y a pas de création ex-nihilo, a-t-on coutume de dire. Aussi, en écrivant leurs oeuvres  de nombreux auteurs africains se réfèrent-ils à des faits se ressourçant dans leur vie quotidienne, dans leur environnement proche. Si, avec la colonisation, il s’agissait de flétrir les exactions commises sur les colonisés, aujourd’hui, avec l’apparition de nouveaux fléaux comme la guerre, les écritures africaines postcoloniales informent des préoccupations nouvelles. Quand on refuse on dit non d’Ahmadou Kourouma s’intéresse ainsi ouvertement à la guerre de Côte d’Ivoire.
 
Le foncier rural est le raccourci utilisé en Côte d’Ivoire pour parler du domaine foncier rural.
 
Si, aux dires de certains historiens, les guerres tirent leur origine de trois principales raisons que sont l’économique, le religieux et l’ethnique, la guerre de Côte d’Ivoire s’inscrit, dans la vision kouroumaïenne, dans une perspective identitaire traduite à travers le concept d’ivoirité qui est lui-même la conséquence d’une autre politique, celle-là sociale et qualifiée par l’expression de « retour à la terre ». La politique dite de « retour à la terre » et les conflits liés au foncier rural constituent pour Kourouma les principales raisons sociales de la guerre de Côte d’Ivoire.
 
La forte crise économique mondiale sur les matières premières (café et cacao) survenue dans les années 1980 a fortement bouleversé la vie socio-économique et politique de la Côte d’Ivoire. Cette crise mondiale asphyxie le pays au point que les autorités tentent de revoir la stratégie de réinsertion des jeunes dans le tissu social. Face à cette situation galopante, le gouvernement met en place la politique de retour à la terre pour encourager les jeunes à s’adonner aux activités agricoles.
 
Cette politique de réinsertion se trouve confrontée à des difficultés de surfaces cultivables, car les jeunes (déscolarisés et sans emploi) qui se rendent dans leur village pour mettre à profit cette volonté politique réalisent très vite que leurs patrimoines fonciers familiaux sont occupés par des migrants qui les auraient obtenus par achat ou par don. Ce retour des jeunes dans les campagnes aboutit ainsi à des conflits fonciers.
 
Quand Birahima, le personnage-narrateur affirme qu’« un Dioula mort, (…...) ça faisait une réclamation de terre vendue et reprise en moins » (Kourouma, 2004 : 25-26), il évoque en fait la situation conflictuelle du foncier rural qui mine la Côte d’Ivoire. Il y fait encore plus allusion quand il fait rejoindre Fanta et Birahima par un couple de Burkinabés qui viennent d’être expulsés de leur plantation de cacao par les Bétés (Kourouma, 2004 : 61).
 
Pendant la colonisation, les atouts forestiers de la Côte d’Ivoire ont, de fait, suscité une politique d’exploitation agricole extensive. Ce mode d’exploitation qui mobilise une main d’œuvre sous régionale massive recrutée dans l’espace AOF depuis les années 1930 permet aux colonisateurs de développer de grandes plantations agricoles de café et de cacao….... Au lendemain de l’indépendance en 1960, les autorités politiques nationales poursuivent le même système socio-économique basé sur l’agriculture. Cette politique encourage le flux migratoire tant interne (populations des régions de savanes vers les régions forestières) qu’externe (les populations non ivoiriennes vers les régions forestières de la Côte d’Ivoire) et entraîne une occupation des terres. Cet état de fait engendre non seulement des conflits fonciers violents entre autochtones et allochtones d’une part, et entre autochtones et allogènes, de l’autre, mais il accouche aussi d’une crise politique liée à l’épineuse question de l’ivoirité.
 
Conclusion
"Quand on refuse on dit non" de l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma constitue, à tous points de vue, une lecture identitaire des origines de la guerre de Côte d’Ivoire. La forme de l’écriture se laisse affecter par le conflit armé qui constitue la trame du roman. La dislocation du récit, qui se fond dans une narration fragmentée exprimée dans une langue d’écriture de la dégénérescence du français conventionnel, est de fait la présentation formelle des graves préjudices physiques, moraux et institutionnels que cette crise a causés à la société ivoirienne.
 
En s’attaquant à l’identité du roman africain classique reconnaissable par une intrigue unique à récit linéaire, à un narrateur unique et omniscient et à une langue d’écriture qui tient dans le moule d’un académisme à la frontière du pédantisme, Ahmadou Kourouma révèle comment la guerre de Côte d’Ivoire participe du problème contemporain de la quête identitaire. Cette recherche engendre le sacre de la notion d’ivoirité qui traduit un ultranationalisme fondé sur le désir d’émergence d’une nationalité et d’une citoyenneté ivoiriennes immaculées, d’où la guerre qui s’ensuit entre partisans à tous crins d’une ivoirité-racine exclusionniste et farouches adeptes d’une ivoirité-rhizome ouverte.
 
Prenant position dans cette bataille idéologique qui s’est muée en conflit militaro-politique, Ahmadou Kourouma, qui démontre que l’ivoirité-racine est à la fois confligène et source de confusion, propose, en lieu et place, une ivoirité-rhizome ouverte, cosmopolite, poreuse à tous les souffles. Kouroumause ainsi de l’identitaire pour interpeller les Ivoiriens, et au-delà les États-nations africains englués dans d’incessantes guerres intestines, à faire l’effort de ne plus tenir ni mettre en oeuvre le discours autodestructeur qui les enferme dans le ghetto identitaire de l’identité à racine unique pour s’ouvrir, sans réticence, à une identité du multiple en un, une identité rhizomatique dans un Tout-monde en voie de créolisation.



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