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Des agriculteurs ivoiriens abattent les boeufs d’éleveurs qui "pillent" leurs champs

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À une cinquantaine de kilomètres à l’est de Bouaké, en Côte d’Ivoire, des dizaines d’agriculteurs se sont réunis, excédés, le 31 octobre dernier, pour abattre les bœufs d’éleveurs qui pratiquaient la transhumance. Ils accusent les bêtes de détruire le fruit de leur travail, ce qui les contraint à se tourner vers la production de charbon, une pratique qui accélère la déforestation.

Dans les villages de Sabaribougou, Flodobo, Kirakro, Awêbo et Kodossou, les agriculteurs ont décidé de mener une "battue" contre les bœufs en transhumance le 31 octobre dernier. À la fin de la journée, ils ont abattu six bœufs, dont ils ont ensuite consommé la viande. Leur objectif ? "Punir" les éleveurs qui viennent faire paître leurs bêtes dans leurs champs d’igname (légume-racine) et de manioc.
Trois clips vidéo, assemblés par la rédaction des Observateurs, montrent la "battue" organisée par les agriculteurs, et un des animaux abattus. Images transmises par notre Observateur. 
 
Ce conflit, révélateur d’une problématique continentale entre éleveurs de bétail et agriculteurs, durait depuis plusieurs dizaines d’années, et s’était fortement accéléré en 2011 lors de la crise politico-militaire ivoirienne. À l’issue de l’élection présidentielle, les deux principaux candidats ont revendiqué la victoire, ce qui a donné lieu à des affrontements violents entre les deux camps, avant qu’Alassane Ouattara ne soit reconnu vainqueur.
 
De gauche à droite : un jeune bouvier et son cheptel, des bœufs en transhumance, des agriculteurs lors de la "battue". Photos transmises par notre Observateur.

Dans ce contexte d’instabilité, de nombreux éleveurs ont fui les affrontements et sont venus s’installer dans ces villages reculés et peu peuplés, aux terres très fertiles. Ces éleveurs sont ivoiriens mais aussi maliens ou burkinabè. Depuis 2011, ils sont arrivés toujours plus nombreux, notamment en 2017, ce qui a achevé d’exaspérer les habitants pratiquant l’agriculture traditionnelle, qui se sont alors révoltés. Ils étaient en octobre encore entre dix et douze propriétaires de cheptels. Ils délèguent le travail quotidien de gestion des bœufs à des bouviers. Selon nos Observateurs, le nombre de bœufs dans la zone avait atteint 30 000 (contre 1 500 habitants) le mois dernier, il y avait donc près de 35 bêtes au kilomètre carré.

Selon le directeur de l’école primaire du village de Kirakro, Kouamé Eloge Kouadio, il y a près de 200 pâturages dans la zone, qui contiennent chacun entre 100 et 200 bêtes gérées par un bouvier. "Les bouviers fabriquent des enclos pour que les animaux se reposent la nuit, dans la savane, et la journée ils pratiquent la transhumance dans la nature ", détaille-t-il à France 24, et peuvent alors se nourrir dans les champs des agriculteurs locaux.
 
"On est excédés, on a tué six boeufs au fusil"

Joachim Kouamé Kouakou, président de l’association des jeunes de Flodobo, a participé à l’expédition punitive contre les éleveurs.
 
Nous en avions vraiment assez que les bœufs détruisent nos cultures. Nous n’avions plus rien à manger, plus d’argent pour nous acheter du riz. On est donc allés se plaindre à la sous-préfecture au début du mois d’octobre, qui nous a donné raison et a demandé aux éleveurs de partir dans un délai d’une semaine. Alors que ce délai était largement expiré, certains éleveurs étaient toujours en activité. On a donc décidé de passer à l’action.

Le 31 octobre, nous étions environ 200 villageois en train de patrouiller dans la zone, nous avons trouvé des bœufs qui étaient toujours sur place, on en a tué six au fusil. Ensuite nous avons dépecé les animaux et nous avons mangé la viande. Il n’y a pas eu de bagarre avec les bouviers.
 
Des agriculteurs reconvertis en charbonniers coupent du bois avant de le transformer en charbon. Photos transmises par notre Observateur.
 
Vraiment on est excédés. Aujourd'hui on ne peut plus cultiver l’igname ou le manioc à cause des animaux. Du coup on est obligés de faire du charbon pour le vendre à la ville. On coupe les arbres, on détruit la nature. La zone s’est asséchée, il y a de la poussière partout. C’est catastrophique mais si je ne fais pas ça, je n’ai pas de quoi donner à manger à mes trois enfants.
 
 
La carte de la zone, qui regroupe cinq villages, entre les villes de Brobo et Satama Sokoro. Capture d'écran Openstreetmap.

Notre Observateur Raphael Nguessan, responsable d'une ONG locale originaire du village de Kirakro, a alerté notre rédaction sur ce sujet, qu’il considère comme un exemple marquant du phénomène continental d’affrontements entre agriculteurs et éleveurs.
 
 
Les villages de la zone, dans l'ordre : Awêbo, Flodobo, Kirakro et Kodossou. Captures d'écran Zoom Earth.
 
Nous habitons dans une zone enclavée, très mal desservie et très peu développée. Jusqu’à cet afflux de bœufs, c’était une grande zone de production agricole. Les terres sont très fertiles, il y a le fleuve N’zi, c’est un dispositif idéal pour cultiver la terre ou faire paître des bœufs. C’est un ensemble de six villages, qui regroupe environ 1 500 personnes. Compte tenu de la superficie, cela fait assez d’habitants.
Des éleveurs chassés d’autres régions [notamment pour les mêmes raisons de conflit avec les agriculteurs], viennent ici en pensant qu’ils ne dérangeront personne, puisque ça ressemble à un no man’s land. Mais ils s’installent sans l’autorisation des chefs de village.

"Une revanche symbolique contre les éleveurs"
 
Quand les villageois ont mangé de la viande de bœuf après leur "battue "fin octobre, c’était une sorte de revanche symbolique. D’habitude nous mangeons seulement du gibier que nous chassons, personne ou presque n’avait mangé de bœuf. Les villageois ont mangé la chair des animaux qui pillaient leur travail, ils ont tué six bêtes mais c’était symbolique.

Il y en avait beaucoup plus, ils auraient pu faire une sorte de massacre, mais ils voulaient seulement adresser un avertissement aux éleveurs. Ceux-ci ont compris, la plupart sont partis. Il faut savoir que les bœufs sont des sortes d’investissement, un animal coûte environ 400 000 francs CFA (environ 600 euros).
Les cheptels polluent l’eau, le charbon accélère la désertification
 
Un cours d'eau de la zone, régulièrement souillé par le bétail selon notre Observateur.
 
Mais aujourd’hui, des milliers de boeufs  ont fait intrusion dans la zone. Ils font leurs besoins dans les étangs et les cours d’eau, cela pose problème car les populations utilisent cette eau qui se retrouve polluée, surtout que les pompes hydrauliques sont défaillantes. À cause de la misère, les jeunes quittent le village. En somme, les bœufs sont en train de paupériser le monde paysan partout en Côte d'Ivoire.
La seule alternative pour les habitants – qui pratiquent naturellement l’agriculture depuis des siècles – est effectivement de faire du charbon. Or cette pratique accélère la désertification de la zone.
 
La transhumance crée des conflits dans toute l’Afrique de l’Ouest

La rédaction des Observateurs de France 24 a tenté à de nombreuses reprises de contacter des éleveurs, pour qu’ils répondent de ces accusations. Ils ont refusé de prendre la parole. Nous avons également sollicité la gendarmerie de Brobo, qui a joué un rôle de médiateur entre les deux camps. Nous ajouterons ses réponses si elles nous parviennent.

Dans toute l’Afrique de l’Ouest, la transhumance du bétail – notoirement effectuée par des membres de l’ethnie peule – crée des tensions avec les agriculteurs locaux sédentaires, dont les champs sont détruits par les bovins. En Côte d’Ivoire, le gouvernement souhaite augmenter la production locale de viande, et "moderniser "l’élevage en délimitant des zones de pâturage.

Ces heurts, parfois mortels, sont également fréquents dans les pays voisins, comme au Bénin.
En mars 2016, des affrontements avaient fait 17 morts à Bouna en Côte d’Ivoire, dans un contexte similaire à celui de Bouaké.

 



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