C’est un procès pas comme les autres qui s’ouvre en principe ce matin devant la Haute Cour de justice qui va squatter à l’occasion une salle d’audiences du Tribunal de grande instance de Ouagadougou. En principe, car jusqu’à hier en début de soirée, l’incertitude planait en raison du téléscopage avec l’ouverture, ce matin également, d’un colloque qu’organise le barreau du Burkina qui en avait de ce fait demandé le report.
Pas comme les autres parce que depuis sa mise en place en 1995, c’est la première fois que cette haute juridiction, censée juger les ministres et le président du Faso pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, mais qui a toujours été une coquille vide et servait jusque-là de décorum institutionnel, a quelque chose à se mettre sous la dent. En l’espèce, il s’agit des membres du dernier gouvernement de Blaise Compaoré (1) qui comparaîtront pour homicides volontaires, blessures volontaires ou complicité de ces deux infractions lors de la sanglante répression de l’insurrection populaire de fin octobre 2014.
Alors ministre de la Défense, l’ancien chef de l’Etat sera, comme on le sait, jugé par contumace puisque exilé en Côte d’Ivoire depuis sa chute. C’est donc son ultime Premier ministre, Luc Adolphe Tiao, qui sera la tête d’affiche des accusés, défendus par une armée d’avocats. On piaffe donc d’impatience de suivre le déroulé d’un jugement qui ne peut qu’avoir une lame de fond politique dans la mesure où il intervient après un changement brutal de régime. Il s’agira donc pour la justice burkinabè de montrer à travers un tel procès que, nonobstant la justice des vainqueurs dont l’accable à l’occasion, on ne les traîne pas à la barre simplement parce qu’ils ont perdu le pouvoir mais bien parce qu’ils ont commis des actes répréhensibles dont il faudra administrer la preuve irréfutable.
En vérité ceux qui s’émeuvent de cet événement, notamment les grands brûlés de l’insurrection et les déçus de l’alternance, ont bon dos de jouer aux vertueux outragés. Car, il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil burkinabé tant l’épreuve du prétoire pour nos anciens gouvernants à toujours constitué un sport national. Depuis Maurice en effet, tous nos président excepté Jean-Baptiste Ouédraogo, Michel Kafando et Thomas Sankara (qui a été, lui, assassiné), sont passés sous les fourches caudines du pouvoir judiciaire.
Historiquement, le premier homme politique voltaïque a connaître les affres d’un procès politico-judiciaire après l’indépendance, sauf erreur ou omission, fut Maxime Ouédraogo qui passa le 11 août 1965 devant une Cour d’Assises en août 1965 pour détournement présumé de fonds publics dans l’affaire dite de la Coopérative centrale de consommation de Haute-Volta (l’ancêtre de Faso Yaar) dont il était le ministre de tutelle. Il écopera de trois ans de prison et de… 36 000 FCFA d’amende.
Ce sera ensuite à Maurice Yaméogo à son tour d’être, le 28 avril 1969, le prestigieux « client », après le 3-Janvier 1966, de la Cour spéciale formée exprès pour connaître de son cas puisqu’au regard du droit commun en vigueur à l’époque, il ne pouvait qu’être jugé pour haute trahison - et risquait donc la peine de mort -, ce à quoi ne voulait pas se résoudre Sangoulé Lamizana. Finalement « l’homme court aux hautes idées » de Koudougou sera condamné à dix ans ferme, à la confiscation de ses biens et à la déchéance de ses droits civiques.
Puis viendra Lamizana le 3 janvier 1984 avec les fameux Tribunaux populaires de la révolution (TPR) dans des procès de classe aux relents forcément politico-idéologiques même si le bon père de famille qu’il était s’en tirera avec un acquittement. Nous devons en réalité être l’un des rares pays à demander aussi souvent des comptes à ses anciens chefs d’Etat, et quelque part c’est à notre honneur.
Comme on dirait donc de façon triviale, ça n’a pas commencé avec Blaise et il n’y a vraiment pas de quoi faire des procès en sorcellerie contre qui que ce soit. Blaise lui-même n’était-il pas aux affaires à côté de Sankara quand les jeunes turcs de la RDP jugeaient et parfois humiliaient les anciens dignitaires ?
Plutôt donc que de se calfeutrer dans une forme de candeur poltronne en poussant le ridicule jusqu’à prendre la nationalité ivoirienne pour se prémunir des ennuis judiciaires, qu’est-ce qu’il aurait été chevaleresque s’il avait décidé, courageusement, de venir affronter son destin !
Que risquait-il vraiment, surtout que, depuis Maxime Ouédraogo (détenu en résidence surveillée dans une villa de… Maurice à Koudougou), aucun n’a été embastillé dans une Maison d’arrêt et de correction une fois condamné pour purger sa peine, laquelle a toujours été réaménagée ? Et ça finit presque toujours par des remises de peine, une amnistie ou une grâce présidentielle. Qu’on arrête donc de crier au complot politique quand bien même c’est la première fois, il est vrai, qu’une équipe gouvernementale presque au grand complet sera dans le box des accusés.
Ousseni Ilboudo