publicité

Societe

Les enfants du XXIe siècle sont-ils tous surdoués ?

Publié le :

Au restaurant, en vacances, à la machine à café, c’est un peu toujours le même refrain : « Le mien, je crois qu’il est précoce. » La mine qui l’accompagne, soucieuse, oscille entre fierté et désolation. Tous les parents sauront de quoi il s’agit.
Maladie jadis inconnue, la « précocité » gangrène désormais les familles, les écoles et les cabinets de psy. Ses symptômes les plus fréquents ? Une intolérance à la frustration, un rejet de l’autorité et un refus des apprentissages scolaires.
« Les gens sont persuadés que, plus leur enfant est insupportable et nul à l’école, plus ça veut dire qu’il est surdoué. Mais c’est faux ! » Claire Meljac, psychologue à l’unité de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, ne mâche pas ses mots. Comme l’ensemble des psys, elle a vu ce nouveau « mal » se répandre en une quinzaine d’années. « J’ai assisté à la naissance de l’épidémie, grince-t-elle. La culpabilisation des parents a été une grande pourvoyeuse d’enfants surdoués. » Remis en cause dès que leur enfant n’est pas parfait, certains parents ont trouvé un remède ­miracle : il est trop intelligent !
Pas plus de QI de « 130 » qu’en 1903
Pourtant, tous les professionnels l’affirment : on ne constate aucune augmentation du ratio de la population atteinte par le virus de la précocité. Depuis qu’on calcule le quotient intellectuel (QI), c’est-à-dire ­depuis qu’en 1903 Alfred Binet, l’inventeur de la psychométrie, a eu l’idée d’estimer l’âge mental des élèves, et de le diviser par leur âge réel (multiplié par 100), ils sont ­environ 2 % à atteindre le Graal des « 130 ». Au-delà, tout est possible.
Einstein, qui, ­contrairement à la légende, avait de très bons résultats scolaires, Mozart, qui composait au berceau, ou Voltaire, qui lisait la Bible à 3 ans, sont peut-être les semblables, les frères, de vos têtes blondes.
Longtemps, l’éducation nationale s’en désintéresse, le public aussi : les surdoués feraient mieux de ne pas se plaindre. Le mot semble élitiste et la cause snob jusqu’à ce que, dans les années 2000, les livres sur le sujet se multiplient. Une psychologue clinicienne, Jeanne Siaud-Facchin, publie L’Enfant surdoué (Odile Jacob, 2002). L’ouvrage se trouve rapidement dans les ­devantures des librairies et en tête des ventes en ligne. Best-seller tiré à plus de 200 000 exemplaires, il ouvre la voie à d’autres.
L’enfant précoce, certes intelligent, n’est pas forcément brillant élève, y ­apprend-on. Il n’est pas fait pour l’apprentissage scolaire, qui consiste à répéter sempiternellement les mêmes connaissances jusqu’à ce qu’elles soient sues. Lui, il comprend tout du premier coup, alors, forcément, il décroche et s’ennuie. Parfois agressif, souvent mal dans sa peau, il se sent seul et développe des conduites d’échec, social et scolaire.
Le syndrome du zèbre
La « douance » remplace alors les « dys- » : dyslexie, dyspraxie, dysorthographie… Tous ces dysfonctionnements que les parents redoutent sont, un temps, adoucis par l’espoir de la « précocité ». « Unes » des magazines, émissions de télé, conseils de pros et « Vis ma vie » de surdoué… Le ­génie est télégénique. La cause des surdoués commence enfin à être entendue.
La recherche en neurosciences vient aussi ­appuyer les progrès thérapeutiques. Mais cet éclairage salutaire a également une conséquence perverse : l’« effet barnum », ou l’impression que quelque chose de plutôt banal a été écrit pour soi. A l’ère des ouvrages de vie pratique et de développement personnel, le parent de cancre se sent soudain compris, réconforté.
« Il n’écoute pas ? Il est surdoué. Il rêve ? Il est surdoué. Il aime l’école ? Il est surdoué. Il n’aime pas l’école ? Il est surdoué. C’est devenu la ­réponse à tout. » Sylvie, enseignante en CM2
Jeanne Siaud-Facchin ne se contente pas de lancer une mode, elle va donner un nouveau nom au concept. Mieux que « surdoué », trop élitiste, plus précis que « précoce » – terme pourtant choisi par l’éducation nationale pour les besoins de l’égalitarisme –, moins sec que le HP du haut potentiel – qui rappelle douloureusement les fiches RH des grands groupes du CAC 40 –, le petit génie devient un « zèbre ».
Le zèbre abrite derrière ses rayures toujours différentes (uniques, comme les ­empreintes digitales), aux effets stroboscopiques (impossibles à repérer), une personnalité atypique. Il court vite, et s’il vit en troupeau, il reste profondément solitaire. Le mot est lancé. Alexandre Jardin a du souci à se faire.
« La réponse à tout »
Pour les instits, c’est une sorte de routine. Discrètement, on leur demande des ajustements : mon enfant s’ennuie, il est précoce, il lui faudrait des exercices supplémentaires. Certains parents vont jusqu’à ­inverser l’ordre des causes : c’est parce que mon enfant est surdoué qu’il a de mauvais résultats scolaires.
Sur le site Maman Travaille, on peut lire le billet d’humeur de ­Sylvie, enseignante en CM2. Non seulement les parents des élèves agités lui assènent que leur enfant est précoce, mais le phénomène touche aussi ceux pour qui elle envisage le redoublement. « Il n’écoute pas ? Il est surdoué. Il rêve ? Il est surdoué. Il aime l’école ? Il est surdoué. Il n’aime pas l’école ? Il est surdoué. C’est devenu la ­réponse à tout. » Et cela concerne toutes les classes sociales.
Pendant ce temps, les « vrais » surdoués se font discrets. Revers de la médaille de l’épidémie, beaucoup craignent qu’on leur rie au nez. « En douze ans d’enseignement, j’ai eu un seul élève précoce. C’est seulement quand j’ai conseillé aux parents de l’emmener voir un psy qu’ils m’ont dit qu’il avait déjà été testé », raconte Claire Grinevald, professeure des écoles en Seine-Saint-Denis. Tous les parents d’enfants précoces le disent : il est très mal vu d’afficher le QI hypertrophié de sa progéniture.
« On m’a expliqué que mon fils était dans le corps d’un enfant de 5 ans, que son besoin d’être cajolé était celui d’un enfant de 3 ans, et ses centres d’intérêt, ceux d’un enfant de 9. » Laetitia, mère de deux garçons diagnostiqués précoces
Soupçonnés de se faire mousser, ces parents rencontrent pourtant de vrais problèmes. Car l’important n’est pas seulement le QI, mais la concordance des facultés. L’intelligence est aussi sociale et ­émotionnelle. Or, souvent, ces enfants sont inquiets, persuadés de tout rater, hypersensibles et solitaires.
« On m’a expliqué que mon fils était dans le corps d’un enfant de 5 ans, que son besoin d’être cajolé était celui d’un enfant de 3 ans, et ses centres d’intérêt, ceux d’un enfant de 9 », explique Laetitia Yvonnet, la mère de deux garçons diagnostiqués précoces, qui évoque le sujet avec une pointe d’amertume.
Car si l’entourage manque cruellement d’empathie, le corps enseignant, bien souvent, soupçonne les parents de « trop pousser les enfants ». Or il n’y a pas de solution miracle pour aider ces enfants : il faut les nourrir intellectuellement, sans les brusquer affectivement.
Longtemps surdoué sans le savoir, Alexandre Pacini a été diagnostiqué à plus de 40 ans. « Pendant six mois, un an, tu crois avoir trouvé la solution ultime à tous tes problèmes. » Ce grand garçon au visage impassible, qui ne supporte pas les bruits parasites et s’ennuie facilement, s’est toujours senti seul. Différent, en fait.
Alors, en plus d’une identité, il a cru avoir trouvé une famille. ­Depuis l’« annonce », il surfe sur les forums spécialisés : celui de Mensa, l’association ­internationale des surdoués, à laquelle on n’appartient qu’à condition de pouvoir montrer patte blanche, autrement dit QI ad hoc. Ou encore Zebrascrossing, plus ­démocratique.
« J’ai rencontré des gens pas toujours plus intéressants, et je ne me suis pas forcément moins ennuyé… », raconte-t-il en sortant son portable pour consulter sur ­Internet les rendez-vous « zèbres » du jour : un apéro, une visite de musée… Voici quelques mois, il y a même eu un speed dating de génies. On ne saura pas s’il a porté ses fruits.
 
Sur la Toile, quand on ne fait pas ces tests de QI en ligne qui font enrager les psychologues, on s’improvise spécialiste. Autodiagnostics et demandes de confirmation pullulent au sein de discussions du type « Et moi, en suis-je ? » ou « Zèbre potentielle a besoin de vos lumières ».
On y trouve des descriptions d’une enfance incomprise et des indications de caractère plus ou moins farfelues : je suis sensible aux injustices, je m’ennuie, je déteste le téléphone, j’ai peu d’amis… Ensuite, on court chez le psy pour valider l’hypothèse.
200 à 500 euros pour un test de QI
Selon les professionnels, le nombre de consultations pour évaluer son QI ou ­celui de ses enfants a nettement augmenté ces dernières années. Les tests coûtent cher, entre 200 et 500 euros, et demandent une grande disponibilité : jusqu’à trois demi-journées pour un enfant. Certains n’hésitent pas à récupérer les « recalés » du QI, et trafiquent sous le manteau des « faux positifs ». Il est facile, se lamentent les pros, de bidouiller les résultats. Le marché des tests est florissant, mais ce n’est rien à côté de ­celui des produits dérivés.
« C’est mon métier de m’intéresser au “pauvre petit chéri”, mais on ne peut pas faire n’importe quoi non plus ! » Jeanne Siaud-Facchin, psychologue
Car la douance représente beaucoup d’argent. D’abord, il y a les DVD, les conférences, les stages… Organisés par des « pseudo-psys et des coachs qui ont fait de cette question leur spécialité », enrage Jeanne Siaud-Facchin, dite JSF sur les forums dont elle est, bien sûr, la star. Et puis, il y a ces mères qui se flattent de leur expérience pour donner des conseils sur leur blog, qui se transforment, après signature avec une maison d’édition, en best-seller. Celles encore dont le « pauvre petit chéri » – « c’est mon métier de m’intéresser au pauvre petit chéri, mais on ne peut pas faire n’importe quoi non plus ! », assène la psychologue – a été abandonné par le système et qui fondent des écoles hors contrat – et hors de prix – pour enfants surdoués.
Car la vraie difficulté est là, pour les parents d’enfants précoces : inventer son système. Faut-il leur faire sauter une ou plusieurs classes ? Les mettre dans le privé, qui propose des méthodes éducatives plus souples ? D’après Jeanne Siaud-Facchin et la plupart de ses confrères, l’école de la République reste le meilleur endroit pour ces enfants. Pas de ghettoïsation.
Mais il existe des associations agréées par l’Etat, qui regroupent les enfants précoces le mercredi et le samedi. Une bonne solution, selon Didier Lauru, ­pédopsychiatre et psychanalyste. Sous la houlette d’un professionnel, ils participent à des ateliers, visitent des ­ musées… Les précoces ont le goût de l’abstraction et peuvent rencontrer des difficultés relationnelles. Les rassembler ainsi répond aux deux.
Pour le reste, « j’ai tendance à ne pas réduire un enfant, un adolescent, à une seule étiquette qui l’enferme dans un aspect de sa personnalité », précise Didier Lauru. L’enjeu est d’accompagner le patient non comme ­atteint de précocité, mais en fonction de tous les aspects de sa personnalité, de son histoire. Il faut éviter tout cognitivisme et « être le moins réducteur possible », ajoute le médecin. Après tout, on peut être surdoué et… névrosé !
Petit lexique de la précocité
  • Hyperesthésie. Le surdoué aurait tous les sens plus développés que les « normaux ». Plus sensible que les autres aux odeurs et aux bruits, il aurait même, dit-on, un champ de vision plus large.
  • Mésestime de soi. Sensible aux injustices, et à l’idée qu’on se fait de lui, il a l’impression d’être nul, de rater, de ne pas être à sa place.
  • Goût de l’abstraction. On dit parfois qu’il s’intéresse à l’espace et au passé car il ne supporte pas de limites au savoir. Mais au-delà des dinosaures et des planètes, l’abstraction reste, selon les spécialistes, son domaine de prédilection.
  • Pensée en arborescence. Le surdoué réfléchit plus vite, mais surtout différemment. Foisonnante, sa pensée se subdivise, s’associe et se multiplie – par opposition au raisonnement linéaire des « normaux ».

 



publicité

FIL INFO

22 avril 2024

Trump reporte le premier rassemblement prévu depuis le début de son procès

22 avril 2024

Journée de la femme gabonaise : un nouvel élan pour l’entrepreneuriat féminin

22 avril 2024

Mali : plus 3,33 millions de cas confirmés de paludisme en 2023

22 avril 2024

Est de la RDC : Washington insiste sur "une solution négociée"

22 avril 2024

Fraternité Matin : La réorientation stratégique éditoriale et digitale des rédactions en marche



Fanico

Lamine KANE. 13 février 2024
Conte des faits renversants
Valer St Clair 9 février 2024
CAN : Non aux courses d'autorités sur la pelouse !
Dr. Yalamoussa Coulibaly 6 février 2024
Diversité de noms chez les Sénoufo
Emmanuel Koffi 17 janvier 2024
Lettre ouverte au Premier Ministre Robert Beugré Mambé

publicité