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Politique

Côte d'Ivoire -Affaire Jacques Ehouo: Hystérie et irresponsabilité

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Je ne sais rien de plus désolant, dans une république digne de ce nom, que de voir les tenants d’un pouvoir donné, comme nos députés, se donner en spectacle, en dénigrant publiquement un autre pouvoir, comme le pouvoir judiciaire dont leur pays s’est librement doté, le donnant pour inique, incompétent et manipulable à souhait.  Ces pourfendeurs se posent alors comme les seuls intègres, les plus compétents, et totalement indépendants des autres pouvoirs.  Mais c’est une attitude des plus irresponsables et des plus hystériques, qui se puissent voir dans un pays moderne.
 
En effet, dans aucune démocratie moderne, on n’a jamais vu des hommes politiques dignes de ce nom, responsables, qui se permettent d’intervenir dans des procédures judiciaires en cours dans leur pays, ou même dans un pays tiers.  L’homme politique responsable, refuse toujours de tomber dans le piège de ces questions, même au détour d’une interview importante, se refusant de pervertir le cours de la justice, ou d’y faire obstruction.  Car la prise de parole publique par l’homme politique peut influencer pareilles procédures, soit dans le sens de l’affranchissement d’un coupable, soit dans celui de la condamnation d’un innocent.
 
Brossons à grands coups de pinceaux le tableau de ‘’l’affaire Ehouo’’ : il est reproché à M. Jacques Ehouo d’avoir aidé à siphonner plus de 5 milliards des caisses de la mairie du Plateau, à l’époque où son oncle, Akossi Bendjo, était le maire de la commune.  Les deux complices auraient utilisé la société-écran NegCom, appartenant au neveu Ehouo, pour détourner les fonds et les blanchir, en les investissant dans des businesses plus légitimes.  Le maire intérimaire du Plateau, M. Jacques Yapi, ayant découvert le pot aux roses, porte plainte contre X, début décembre 2018, pour détournement de fonds au détriment de la mairie du Plateau.  La police économique enquête alors sur l’affaire, parvient à mettre des noms sur ce X, comme Akossi Bendjo et Jacques Ehouo.  Entre-temps, puisque l’oncle est en fuite en France depuis sa chute, son neveu est encouragé à briguer la mairie du Plateau pour tenter d’étouffer l’affaire.  Mais la police économique, ayant découvert suffisamment d’indices graves, confie le dossier au procureur de la République, qui nomme un juge d’instruction à l’effet de creuser l’affaire plus avant.  Les deux suspects sont formellement accusés de détournement de fonds et de blanchiment de capitaux, ainsi que de faux en écritures publiques.  Comme le suspect Jacques Ehouo s’est entre-temps faire élire député, il croit avoir trouvé le sésame imparable, pour se soustraire à la justice de son pays, à jamais ; ses collègues le croient aussi.  Il n’en fallait pas plus pour que certains hommes et femmes politiques de ce pays montent au créneau pour dénigrer les pouvoirs exécutif et législatif, en les traitant de dictateurs et d’acharnés politiques.  Ils dénoncent une tentative de spoliation de Jacques Ehouo de sa victoire à la mairie du Plateau.  Il n’est rien de plus fallacieux, cependant, ni de plus pervers, que cet argument puéril. La survie du régime de M. Ouattara ne dépend point de la couleur politique de la mairie du Plateau. Depuis 8 ans bientôt que ce régime est au pouvoir, la mairie du Plateau a toujours été aux mains du PDCI-RDA sans que M. Ouattara ne soit victime d’insomnie !
 
Que monsieur Guikahué, secrétaire exécutif du PDCI-RDA, député et président du groupe parlementaire PDCI-RDA, tombe dans ces travers à propos de l’affaire ‘’Jacques Ehouo’’ est déjà impardonnable.  Quand on a été ministre dans une république, et qu’on aspire à reprendre le pouvoir d’État, exécutif, en 2020, on fait au moins confiance à la justice de ce pays !  On évite soigneusement de s’immiscer dans les procédures judiciaires en cours, pour exiger leur abandon pur et simple, et de vilipender le pouvoir judiciaire.  Autrement, une fois élus, ces messieurs du PDCI-RDA viendraient donner des instructions au procureur de la République, dans le sens de la poursuite de citoyens triés sur le volet, certains citoyens étant au-dessus des lois.  Mais quand on s’est rendu coupable soi-même du détournement des 18 milliards d’aide de l’Union Européenne, aide accordée au secteur de la santé dont on était alors le premier responsable, à la fin des années 90, et qu’on n’a jamais été inquiété par la justice de son pays, on a de vraies raisons de crier son indignation de voir un collègue député, poursuivi pour la broutille de 5 misérables milliards de nos francs !
 
Que les députés Oula Privat, vice-président de l’Assemblée Nationale, et son président Guillaume Soro, se permettent de faire des déclarations accusant le procureur de la République d’acharnement judiciaire, d’iniquité et d’incompétence, est franchement intolérable.  Si seulement la démission de son poste de président de l’Assemblée Nationale n’était pas qu’une rumeur de trop, la Côte d’Ivoire serait bien soulagée, cette fois-ci, de voir M. Guillaume Soro rendre le tablier pour de vrai. Au moins, cela lui permettrait de transformer son RACI en parti politique, et de préparer minutieusement sa candidature à la présidence de cette République dont il vilipende tout l’appareil judiciaire à présent.  Les dernières élections régionales et communales ont bien montré en effet, que cette présidentielle à venir ne sera pas une promenade de santé pour lui, tant ses lieutenants ont tous été laminés partout où ils ont sollicité l’onction de leurs concitoyens.  Sa démission du perchoir permettrait à nos honorables députés d’élire à leur tête une personnalité respectueuse du principe républicain de la séparation des pouvoirs, et ayant du respect pour le pouvoir judiciaire en particulier, autant qu’il aspire à être respecté par les deux autres pouvoirs constitutionnels.
 
Même Yasmina Ouégnin et sa Vox Populi sont même tombées dans cette hystérie des députés ivoiriens, qui confondent ‘’immunité parlementaire’’et ‘’impunité totale’’. C’est proprement désolant de voir qu’ils estiment qu’un député cesse d’être un justiciable, dès lors qu’il a été élu dans une circonscription donnée : aussi bien ses crimes passés, commis avant même son élection, ainsi que les crimes commis et pour lesquels il a été pris en flagrant délit, étant tout simplement abandonnés et oubliés à jamais !  C’est une plaisanterie de lecture de la loi.
 
Ce n’est d’ailleurs pas étonnant quand Oula Privat, vice-président de l’Assemblée Nationale, déclare que seuls les députés connaissent l’esprit et la lettre des lois, car ce sont eux qui les ont votées.  Au demeurant, il souligne que le procureur de la République n’est qu’un simple exécutant, un faire-valoir, et non un juriste de profession. C’est abyssal !  Où sommes-nous tombés enfin ?  Le procureur est ce qu’il y a de meilleur dans son domaine, en tant que juriste et magistrat assermenté, ayant gravi les échelons dans notre dispositif juridique jusqu’à se hisser au sommet du service des poursuites judiciaires dans ce pays.  Le traiter comme un moins que rien, un simple faire-valoir, sorte de valet porteur de malles des politiques, est totalement indigne d’un député de la nation, se prévalant du titre pompeux de vice-président de l’Assemblée nationale. Cela s’appelle ‘’outrage à magistrat’’, crime puni par la loi dans ce pays et partout dans le monde.  M. Privat Oula devrait savoir que le député n’est point au-dessus des lois de son pays ; il n’est point guère plus savant que le procureur de la République dans le domaine de l’application des lois de la République.  S’il est vrai que le député vote la loi, son application lui échappe : les magistrats et l’ensemble du système judiciaire sont chargés d’appliquer ces lois au quotidien, avec l’usage de la force publique, que sont la gendarmerie et la police judiciaire.  Si quelqu’un sait bien l’esprit et la lettre des lois, c’est bien eux.
 
Le député demeure un justiciable, tout comme le magistrat, et tout membre du pouvoir exécutif.  Nul n’est au-dessus de la loi, tel est le principe républicain.  L’immunité n’est plus opérante dès lors que le député se rend coupable d’un flagrant délit, ainsi que M. Lobognon vient de l’apprendre à ses dépens.  L’immunité ne rend pas non plus impossible l’ouverture d’une information judiciaire contre un député, ainsi que le procureur l’a indiqué : elle ne rend impossible que l’arrestation du député sans l’accord du bureau de l’Assemblée nationale, en cas de crime commis en dehors du flagrant délit constitué. Que nos députés, ci-devant honorables auto-proclamés, exigent du pouvoir judiciaire tout abandon des charges contre M. Ehouo, ou une suspension de la procédure contre lui, cela s’appelle précisément ‘’obstruction à la justice’’ou ‘’tentative de perversion du cours de la justice’’.  Pour ce crime-là, un député et ministre de David Cameron, Chris Huhne, alors ministre de l’Énergie et du Changement climatique, a été contraint de démissionner du gouvernement, afin de se soumettre à la justice de son pays, qui l’a reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés, et qui l’a écroué pour huit mois !  C’était en février 2013.  Personne, ni au sein du gouvernement Cameron, ni dans son parti des libéraux-démocrates, encore moins parmi les députés de ce parti, n’a versé la moindre larme pour lui. Nul n’a vilipendé la justice britannique dans cette affaire de simple excès de vitesse.  Aucun homme politique britannique ne s’est prononcé sur cette affaire tant qu’elle suivait son cours.  Une autre députée, travailliste cette-fois, Fiona Onasanya, vient d’être jugée coupable aux assises le 19 décembre dernier, pour un crime similaire : un excès de vitesse, dont elle voulait faire porter le chapeau à un tiers. Elle est d’ores et déjà exclue du Labour Party, dans ce mois de janvier 2019, c’est-à-dire précisément après que son procès a pris fin, et qu’elle a été jugée coupable des faits qui lui étaient reprochés.  Cependant, Jeremy Corbyn et ses députés n’ont point dénigré la justice de leur pays, en l’accusant d’acharnement contre l’opposition, ou en l’accusant d’iniquité et d’incompétence caractérisée.
 
Si pour une fois, nos honorables pouvaient s’interdire de vociférer dès lors qu’il y a une procédure judiciaire ouverte contre un des leurs, ce serait une avancée sur la voie de la construction de l’État de droit, auquel nous aspirons tous.  Ne pas pervertir le cours de la justice, ni y faire obstruction, tels sont les maîtres-mots. Une poursuite ne signifie nullement un jugement au tribunal, encore moins une condamnation, ni un emprisonnement ferme.  M. Gbagbo et M. Blé Goudé viennent d’être ‘’acquittés’’ par la CPI.  Pour une fois donc, faisons tous confiance à la justice. Cette hystérie autour de l’affaire Ehouo est tout simplement irresponsable et déshonore nos honorables députés plutôt qu’elle ne les élève au-dessus de l’Olympe !
Dr Famahan Samaké.



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