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Thierry Tanoh, le joker sans frontières…...... politiques de la présidentielle ivoirienne

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La rumeur était persistante depuis plusieurs mois déjà. La décision est tombée le lundi 10 décembre 2018. Sans que l’on sache, avec certitude, s’il s’agit d’une démission, d’un limogeage ou le résultat d’une concertation politique entre le président de la République de Côte d’Ivoire et son ministre du Pétrole, de l’Energie et des Energies renouvelables dans la perspective de la présidentielle 2020. Quoi qu’il en soit, ce jour-là, Thierry Tanoh est bel et bien sorti du gouvernement. Dans un contexte politique tendu entre les deux têtes d’affiche que sont Henri Konan Bédié, héritier de Félix Houphouët-Boigny, jeté à bas de son trône présidentiel à la Noël 1999, et Alassane D. Ouattara, porté sur ce même trône en 2011 par l’armée française après avoir gagné la présidentielle 2010 mais perdu aussitôt la capacité d’assumer son rôle. Ces deux ennemis historiques et, tout à la fois, amis par opportunisme, ont un ego surdimensionné (bien entretenu par leurs épouses respectives) qui, depuis près de trente ans, rythme la vie politique, économique et sociale de la Côte d’Ivoire. En cela, ils sont dans l’air du temps, celui de Trump, Poutine, Macron et quelques autres (beaucoup d’autres), tout particulièrement imbus d’eux-mêmes au nom d’une démocratie qui les a portés au pouvoir par les urnes mais dont ils ne cessent de bafouer les principes pour s’y maintenir.
 
Les laissés pour compte de la croissance
 
Depuis près de trente ans, la guerre des chefs a provoqué le chaos en Côte d’Ivoire (déstabilisant du même coup la sous-région), empoisonnant la vie politique, certes, mais surtout en propageant un cancer qui ne cesse de faire des ravages : celui de l’exclusion. L’exclusion des autres d’abord, de ceux qui, pendant des décennies, ont fait de la Côte d’Ivoire un territoire tellement riche qu’il pouvait être pillé, impunément, par ses « élites ». Celui des populations rurales et périurbaines ensuite, laissées pour compte d’une croissance économique fondée sur l’endettement et les investissements étrangers au nom d’un management qui privilégie les affaires financières au détriment des affaires sociales et s’efforce de couvrir du manteau de « l’émergence » la détresse d’une large majorité des Ivoiriens. Et particulièrement celle d’une jeunesse qui n’a pas les moyens sociaux de s’insérer dans une économie bling-bling qui propage une image « occidentalisée » du pays au mépris des réalités qui sont les siennes depuis des décennies.
 
Le sociologue Francis Akindès, professeur à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, l’écrivait récemment dans JA (9-15 décembre 2018) : « La société [ivoirienne] est aujourd’hui anxieuse, habitée par le traumatisme d’une décennie de conflits qu’elle ne parvient pas à soigner, traversée par les inégalités sociales, des sentiments de mal-être et de revanche ». De leur côté, avec la retenue diplomatique qui convient, les ambassadeurs de l’Union européenne (partenaire financier privilégié d’Abidjan) ont récemment souligné les « failles politiques importantes de la reconstruction » et « les fragilités non résorbées d’un pays peut-être moins solide et démocratique que sa bonne image pourrait laisser penser ». Ils ont souligné par ailleurs que « les autorités se montrent hermétiques aux critiques internes et externes et semblent désireuses de ne laisser aucun lieu de pouvoir leur échapper ».
 
 
 
« Les recettes de bonne femme » ne suffisent pas
 
C’est que la Côte d’Ivoire a mis tous ses œufs dans le même panier : celui de la « bonne politique économique », au détriment de la politique tout court et, plus encore, de la politique sociale. Ouattara me l’avait dit, voici trente ans, le 28 novembre 1988, alors qu’il me recevait à Washington, au siège du FMI dont il allait quitter la direction Afrique pour prendre le gouvernorat de la BCEAO : « Les bonnes politiques économiques, ce sont des recettes de bonne femme, des choses très simples ». Il a depuis, ayant été Premier ministre du « Vieux » puis président de la République, sans doute compris (il faut l’espérer) que les choses n’étaient pas aussi simple que cela et qu’au-delà du budget, de la masse monétaire, de la politique des taux d’intérêt, du commerce extérieur, de la réforme du système bancaire et des entreprises publiques…, il fallait bien autre chose pour qu’un pays apporte à sa population des raisons d’espérer en matière de sécurité, d’emploi, d’éducation et de formation, de santé… : il faut une réelle action politique fondée sur la lutte contre les inégalités dans un cadre démocratique authentique.
 
Or, trop souvent, en Afrique comme ailleurs, l’action politique est de plus en plus mise sous le boisseau au profit, justement, des actions économiques (qui n’ont pas grand-chose à voir avec les politiques économiques). Qui se limitent désormais à une « libéralisation » qui favorise les affairo-politiques locaux et internationaux. Il n’empêche que, les sociétés humaines étant ce qu’elles sont, la réalité sociale, de temps à autre, se rappelle au bon vouloir de ceux qui occupent des fonctions politiques tout en se refusant, au nom de la technocratie, à agir en tant que tels. En France, Emmanuel Macron en fait actuellement la douloureuse expérience. Dans bien des pays africains, ceux qui émerge (à l’exemple de l’Ethiopie, du Rwanda, etc.) comme ceux qui affirment depuis dix ans que l’émergence est pour 2020 (à l’exemple de la Côte d’Ivoire), la priorité accordée à l’économique au détriment du politique conduit à ce que j’appelle la « désaffection démocratique ». Qui n’est rien d’autre qu’un rejet non seulement de la classe politique mais, aussi et surtout, des institutions politiques à commencer par la participation aux élections. Ce qui, bien sûr, redonne tout le pouvoir aux adeptes de l’autoritarisme.
 
La « désaffection démocratique » est en marche
 
En 2010, Ouattara a été élu dans les conditions que l’on sait face au sortant, Laurent Gbagbo, élu en… 2000 dans les conditions que l’on sait après que le précédent président ait été viré du pouvoir dans les conditions que l’on sait après avoir été élu en 1995 dans les conditions que l’on sait. Le 25 octobre 2015, Ouattara a été élu dès le premier tour de la présidentielle avec près de 84 % des voix et moins de 55 % des suffrages exprimés. Autrement dit, il est le président d’environ 41 % des électeurs inscrits qui ne représentant eux-mêmes qu’une faible part de la population ivoirienne en âge de voter (la Côte d’Ivoire, en 2015, comptait 3,3 millions de votants pour 6,3 millions d’inscrits alors que la population était de l’ordre de 24 millions d’habitants). C’est dire que la « désaffection démocratique » est déjà une réalité.
 
Ce qui ne saurait étonner dans un pays qui a vécu trente ans sous le régime du parti unique puis vingt ans de bouleversements sociaux : « l’ivoirité », un coup d’Etat militaire, une « insurrection », la partition, des élections controversées (1995, 2000 et 2010) et une guerre des chefs mortelle pour la population civile. Ouattara n’a jamais été un leader politique, Bédié non plus. Gbagbo, parce que formé dans les rangs de l’opposition tout en revendiquant la fin du parti unique, l’a été beaucoup plus sans pour autant l’avoir été jusqu’au bout du processus, préférant le sectarisme au sein du FPI au militantisme des origines. Gbagbo emprisonné, Ouattara et Bédié ont joué, au nom de leur « réconciliation », la carte du rassemblement. En 2010, Bédié (PDCI) avait terminé troisième de la présidentielle derrière Ouattara (RDR) et Gbagbo (FPI) ; puis dans le cadre du RHDP, alliance entre le RDR, le PDCI et quelques autres au nom de « l’houphouëtisme », il avait soutenu Ouattara lors du deuxième tour. Le mercredi 17 septembre 2014, Bédié, président du PDCI, depuis son « village » de Daoukro, avait annoncé que son parti avait bel et bien un candidat pour la présidentielle 2015 : Ouattara. A défaut de parti unique, la Côte d’Ivoire optait pour le candidat unique ! Vive la démocratie !
 
Je l’avais écrit dès 2013 : « Le diagnostic est simple : Ouattara n’est pas un politique ; autant dire que le RDR n’est pas sa préoccupation. Il est focalisé sur l’idée que la croissance « se mange » ; enfin, plus exactement, que sa réussite économique le dispensera de descendre dans cette arène politique où l’ambiance est, plus que jamais, « délétère ». Un PDCI-RDA recomposé qui intégrerait le RDR n’était pas pour lui déplaire. L’économique pour lui ; le politique pour Bédié. C’était finalement le duo que Félix Houphouët-Boigny avait imaginé au début de la décennie 1990 ». De son côté, Bédié avait précisé sa vision des choses dès 2014 : « L’objectif d’une telle candidature est double : assurer le succès du RHDP aux élections de 2015 et ensuite aboutir à un parti unifié dénommé PDCI-RDR pour gouverner la Côte d’Ivoire, étant entendu que ces deux partis sauront établir entre eux l’alternance au pouvoir dès 2020 ». C’était après le candidat unique, le retour de facto au parti unique !
 
Tanoh est arrivé !
 
Le 7 septembre 2014, Bédié décidait donc que le candidat du PDCI pour la présidentielle 2015 serait Ouattara. Le 12 septembre 2014, ce dernier nommait Thierry Tanoh secrétaire adjoint de la présidence de la République avec rang de ministre. Le 19 septembre 2014, lors de l’inauguration du nouveau siège de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGE-CI), il prononçait un discours qui prenait date pour le deuxième mandat présidentiel (2015-2020). Un discours qui devait tout, ou presque, à Tanoh, l’ex-banquier (un vrai, pas un banquier central), tenant d’une « participation » et d’une « contribution » du « secteur privé national » au Plan national de développement visant à « maintenir le cap vers l’émergence ». Or Tanoh, un inconnu dans la sphère politique ivoirienne lors de cette nomination, est un proche parmi les proches de Bédié. Ce qui ne pouvait que rassurer son mentor, frustré que le PDCI, depuis cinq ans, n’ait pas participé aux agapes du pouvoir autant qu’il l’aurait souhaité. 
 
C’est le 21 avril 1962 que Thierry Tanoh est né. A Nogent-sur-Marne, en région parisienne, loin de la Côte d’Ivoire. Mais c’est pourtant une naissance sous le signe du Bélier : Félix Houphouët-Boigny. C’est que sa mère, Française originaire du Pas-de-Calais, sera proviseur du Lycée Mamie Adjoua à Yamoussoukro. C’est, pour les jeunes filles ivoiriennes, le « lycée d’excellence » de la Côte d’Ivoire. Institué dans le fief de Houphouët au lendemain de l’indépendance, il porte le nom de la sœur aînée du premier président de la République de Côte d’Ivoire. Autre signe sous lequel est né Tanoh, celui du Sphinx : Henri Konan Bédié. C’est que le grand-père de Thierry Tanoh était originaire du village de Daoukro, celui du deuxième président de la République de Côte d’Ivoire, « héritier » du « Vieux » ; il en a été le maire dans les années 1980. Il est par ailleurs le parrain de Thierry Tanoh et c’est, dit-on, le « sphinx de Daoukro » qui l’a élevé après la mort de son père. 
 
Cet ancrage du côté de Daoukro s’est perpétué au fil des décennies. Son maire a été Joseph Kouadio Tanoh, ex-directeur de l’Enseignement technique, de mai 2013 jusqu’à sa mort le lundi 21 mai 2018. Il était le frère de Augustin Kouadio Tanoh, né à Toumodi, le père de Thierry Tanoh. Membre du Bureau politique du PDCI, le parti houphouëtiste devenu le parti de Bédié, Joseph Kouadio Tanoh a reçu un hommage qui n’est pas passé inaperçu. La Première Dame, Dominique Ouattara, est venue présenter ses condoléances et celles de son époux, le Président de la République, à la famille Tanoh à la tête d’une importante délégation. L’occasion pour le ministre de la Culture et de la Francophonie, qui accompagnait la Première Dame et s’exprimait au nom du couple présidentiel, de rappeler « les rapports fraternels que Madame Dominique Ouattara entretient avec le ministre du Pétrole, de l’Energie et du Développement des énergies renouvelables » ; des « rapports privilégiés » a-t-il été précisé. Les obsèques du maire de Daoukro se sont déroulés le samedi 23 juin 2018. Il y avait là Bédié et le vice-président de la République Daniel Kablan Duncan (qui a été le Premier ministre de Bédié mais aussi, à deux reprises, de Ouattara). C’est dire que la famille Tanoh est non seulement liée au nouveau régime mais aussi, et plus encore, à l’ancien.
 
Une carrière dans la finance internationale
 
Né en France, c’est cependant en Côte d’Ivoire que Thierry Tanoh fera ses études primaires, secondaires (lycée scientifique de Yamoussoukro) et supérieures (Ecole supérieure de commerce d’Abidjan qui dépend de l’Institut polytechnique de Yamoussoukro) avant de revenir en France où il va intégrer un cabinet d’audit et de conseil. Nous sommes en 1985. Quand il reviendra en Côte d’Ivoire en 1989, il travaillera à la commission bancaire de l’Uemoa avant de rejoindre la toute puissante DCGTx (chargée des grands travaux et bien plus que cela). Ce sera un tremplin pour entrer à Harvard dans le cadre des bourses Fulbright (et avec, dit-on, le coup de pouce de Houphouët). Il y restera de 1992 à 1994. C’est alors qu’il sera recruté par la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale. Il y mènera l’essentiel de sa carrière (pendant près de vingt ans !), s’occupera du secteur chimie-pétrochimie, de l’Amérique latine, sera affecté à Rio de Janeiro en 2001 avant d’être nommé à Johannesburg directeur régional pour la zone Afrique en 2003 puis directeur régional pour l’Afrique subsaharienne en 2006 et, enfin, vice-président pour l’Afrique subsaharienne, l’Amérique latine et Caraïbes et l’Europe de l’Ouest le 1erjuillet 2008.
En octobre 2012, après avoir été approché par le cabinet de recrutement californien Korn Ferry International, il sera nommé directeur général du groupe Ecobank Transnational Inc. (ETI). Thierry Tanoh n’est pas alors une tête d’affiche politique. Malgré son parcours professionnel remarquable, il est resté d’une grande discrétion, limitant ses interventions à sa sphère de compétence : l’économie ; sa notoriété s’est limitée, longtemps, à l’univers feutré de la finance internationale.
 
Son incursion à la tête d’Ecobank va changer la donne. La banque, présente dans 33 pays, va connaître une crise du management qui ne manquera pas d’épuiser Tanoh contraint à une fréquence bimensuelle plutôt que bimestrielle du conseil d’administration tout en devant assurer le bon fonctionnement de l’institution. Après plusieurs psychodrames dont Sud-Africains et Nigérians sont accoutumés, Tanoh sera débarqué le 12 mars 2014. Il lui faudra deux années de rude bagarre pour obtenir en 2016 réparation financière de ce préjudice. Cela valait le coup de se battre : 12 millions de dollars d’indemnités ! 12 millions de dollars qui ne font pas oublier, pour autant, l’horrible campagne particulièrement humiliante menée contre lui.
 
Entrée dans la République des banquiers
 
L’occasion pour lui de revenir en Côte d’Ivoire. Le vendredi 12 septembre 2014, Alassane D. Ouattara va le nommer à la présidence de la République, au poste de secrétaire général adjoint (avec rang de ministre). Ouattara a conquis le pouvoir en 2011 (après avoir été élu en 2010), il a nommé Daniel Kablan Duncan au poste de Premier ministre pour prendre la suite de l’ex-« rebelle » Guillaume Soro (2010-2011). A la présidence de la République, c’est Amadou Gon Coulibaly, héritier de la plus puissante famille du Nord de la Côte d’Ivoire (ce qui en fait la plus puissante famille de la Côte d’Ivoire tout court), qui est le secrétaire du gouvernement avec le titre de ministre d’Etat (depuis le 4 décembre 2010). Tanoh, qui représente le « centre » de la Côte d’Ivoire vient le seconder avec pour alter ego le Français Philippe Serey-Eiffel, lui aussi un « héritier ». Héritage de la famille Eiffel d’une part (il est l’arrière-arrière petit fils du génial constructeur mais c’est sa grand-mère maternelle qui était née Eiffel), de l’ex-puissance coloniale d’autre part, mais aussi d’Antoine Césaréo dont il avait pris la suite, en 1990, à la tête de la DCGTx. J’écrivais alors, en 2014, que « si Gon est un homme du passé, Serey-Eiffel un homme d’ailleurs, Tanoh pourrait bien être celui non pas de demain mais d’après-demain ».
 
Ajoutons que Tanoh a épousé Sylvie (titulaire de deux masters de l’université de Boston), la deuxième fille de Charles Gomis, ambassadeur de la République de Côte d’Ivoire en France depuis 2012, qui a été notamment chef de cabinet de… Bédié quand celui-ci était ministre délégué aux Affaires économiques et financières, et directeur de cabinet du président Robert Gueï au lendemain de la chute de… Bédié. L’aînée des quatre filles Gomis, Henriette, est l’épouse de Jean-Louis Billon, ancien patron du groupe SIFCA, numéro un de l’agro-industrie ivoirienne, ministre sous Ouattara et candidat à la présidentielle 2020.      
 
« C’est dans l’adversité que l’on s’élève ; lorsque l’on sort d’une crise, on doit en tirer les leçons pour devenir plus fort », disait autrefois Tanoh, donnant le Rwanda en exemple. Il conseillait aussi « de ne jamais privilégier le court terme au détriment du long terme. Il faut avoir une vision à long terme qui vous amène à prendre des décisions à court terme. Il faut se fixer un objectif qui soit à la fois réaliste et raisonnable […] Et, ajoutait-il, il faut avoir des valeurs. Je crois que quelqu’un qui a une vision à long terme aura des valeurs attachées à cette vision et qui lui permettront de contourner les obstacles ».
 
Indépendance énergétique, secteur privé fort, environnement des affaires sain, planification stratégique, intégration sous-régionale et, enfin, bonne gouvernance étaient les mots-clés de Tanoh avant de quitter le monde de la finance pour le monde de la politique. Avec Ouattara, il disait « partager la même passion pour le leadership [celui de la Côte d’Ivoire] ».
 
Homme du président puis homme du pétrole
 
Le 11 janvier 2017, Tanoh va faire son entrée pleine au gouvernement alors que Gon Coulibaly a pris la suite de Daniel Kablan Duncan. Au portefeuille du Pétrole, de l’Energie et du Développement des énergies renouvelables. Certes, on l’attendait ailleurs, à la primature (où on l’annonçait, en tant qu’homme du consensus, dès 2015) ou, au moins, à l’économie, mais le voilà consacré, pour de bon, « homme politique » sous la férule de son ancien patron au secrétariat général de la présidence de la République. Ex-« Homme du Président », Tanoh est bien placé pour gérer un ministère technique qui n’est pas démesurément administratif. Le secteur est dominé par les grandes compagnies et, en Côte d’Ivoire, quelques sociétés majeures composent le paysage énergétique ivoirien. Il faut gérer les hommes, certes, mais aussi et surtout le relationnel avec des grands patrons « internationaux ». Tanoh sait faire. Ce qu’il ne sait pas faire, ce sont les miracles. La Côte d’Ivoire ambitionne d’être un pays pétrolier et gazier pour des raisons… budgétaires. Ce n’était pas vrai dans les premiers temps du « Vieux » qui se voulait le patron d’une « République des planteurs ». Mais le choc pétrolier de 1973 avait suscité bien des espérances que le premier gisement de pétrole ivoirien, « Bélier », découvert en 1977 (l’occasion pour le « Vieux » de boire une coupe de champagne, ce qui n’était pas dans ses habitudes), ne satisfera pas. Pas même le deuxième, baptisé « Espoir ». Les pétroliers plieront bagage en 1989. Bédié, en 1995, avec le concours de Mohamed Lamine Fadika (saluant « le soleil d’Austerlitz qu’a été l’avènement de l’ére Bédié »), tentera de faire rêver, à nouveau, les Ivoiriens à l’occasion de l’inauguration de l’arrivée à Vridi-Canal du gaz naturel offshore du bloc CI-11. La production pétrolière de la Côte d’Ivoire a été inférieure, en 2017, à 35.000 barils/jour alors que Ouattara tablait sur 200.000 barils/jour en 2020. Et dans son bras de fer avec le Ghana (l’offshore ivoirien est voisin de l’offshore ghanéen), Abidjan a perdu devant les tribunaux. Il faut se rendre à l’évidence : la Côte d’Ivoire n’est pas un pays pétrolier significatif et même l’exploitation de son gaz naturel est une opération coûteuse.
 
Pour Tanoh, le pétrole, le gaz et l’électricité n’ont pas été sa « tasse de thé ». Pour réussir dans ce secteur, il faut quelques cartes en main (qu’il n’avait pas), être bluffeur (ce qui n’est pas son genre) et parfois même un peu tricheur. Mais cela a été l’opportunité d’occuper le terrain dès lors qu’il était évident que son devenir, à quelques encablures de la soixantaine, était bien plus du côté de la politique que de la technocratie. D’autant plus que Bédié a, dans le même temps, entrepris de prendre ses distances avec Ouattara, l’option d’un PDCI-RDR avec un candidat PDCI soutenu par le RDR ayant, plus que jamais, du plomb dans l’aile. 
 
Un joker sans frontières…..... politiques
 
A deux ans de la présidentielle 2020, Bédié (qui a obtenu du Bureau politique du PDCI, le 24 septembre 2018, la prolongation de son mandat à la tête du PDCI) s’efforce donc de laminer les PDCI tendance RHDP, trop enclins à basculer dans le camp de Ouattara. A Daoukro, le lundi 2 octobre 2018, il a ainsi procédé, « vu les nécessités de service », à la nomination de treize vice-présidents du PDCI afin de contrer l’influence de ceux qui ont, ces dernières années, servi Ouattara avec trop d’entrain, à commencer par Daniel Kablan Duncan et Kobenan Kouassi Adjoumani, « apôtres du RHDP ».
 
Quelques jours plus tard, le dimanche 8 octobre 2018, toujours à Daoukro, Bédié a prononcé son « discours d’orientation », dénonçant les « complots visant à déstabiliser et faire disparaître » le PDCI-RDA (les résolutions du Bureau politique du 17 juin 2018 ont été invalidées par un juge saisi par un des militants du PDCI-RDA et celles du 24 septembre 2018 risquent fort de subir le même sort). Deux décisions sont contestées : la prolongation du mandat de Bédié à la tête du parti et sa décision de retirer le PDCI-RDA du RHDP. Bédié n’a pas manqué, dès lors, de fustiger le « régime en place » qui en « instrumentalisant certains de nos militants aux ordres a orchestré un harcèlement judiciaire du PDCI-RDA pour pouvoir parvenir à ses fins ». Le PDCI-RDA, a dit Bédié, « ne saurait accepter de laisser prospérer dans ce pays un Etat de non droit que veut promouvoir ce régime autoritaire ».
 
Au lendemain de cette diatribe (qui rappelle les propos de Bédié à l’encontre de Ouattara dans les années 1990), un 6ècongrès extraordinaire du PDCI-RDA s’est tenu à Daoukro le 15 octobre 2018 afin de reporter le 13ècongrès ordinaire du parti après l’élection présidentielle de 2020 (statutairement, il devait se tenir en 2018) et de prolonger ainsi le mandat du président du parti. Il a confirmé également la retrait du PDCI-RDA du RHDP, parti unifié, affirmé « la détermination du PDCI-RDA a reconquérir le pouvoir d’Etat en 2020 » et, dans cette perspective a appelé « à l’organisation d’une convention en 2019 en vue de l’investiture d’un candidat militant actif du PDCI-RDA dont la loyauté et la fidélité au parti ne souffrent aucun doute ».  
 
Et parmi ces « candidats militants actifs dont la loyauté et la fidélité au parti ne souffrent aucun doute » figure Thierry Tanoh qui, secrétaire exécutif chargé des études et de la prospective, s’est vu confier en plus, le samedi 10 novembre 2018, les finances du parti. Dans la foulée, le dimanche 25 novembre 2018, Bédié a lancé, toujours depuis Daoukro, la campagne nationale d’identification des militants et nouveaux militants du parti dans la perspective prochaine d’un renforcement du Bureau politique, du Comité des sages et du Grand conseil régional du PDCI-RDA. 
 
Dans ce contexte – que l’on ne peut pas qualifier de politique mais seulement, une fois encore, de prélude à une nouvelle guerre des chefs – il était évident que les jours de Tanoh au sein du gouvernement étaient comptés. Il était le dernier ministre PDCI-RDA à n’avoir pas adhéré au RHDP ! Le lundi 10 décembre 2018, son départ – démission ou limogeage ? – ne pouvait surprendre personne. Ce qui a surpris, par contre, c’est qu’au « terme de ses fonctions », comme il qualifie lui-même son départ, sur sa page facebook en date du mardi 11 décembre 2018, Tanoh ait voulu « tout d’abord exprimer [sa] sincère et profonde reconnaissance au Président de la République, Monsieur Alassane Ouattara, pour la confiance qu’il [lui] a accordée au cours de ces quatre dernières années, en [le] nommant à de hautes responsabilités, tant à la présidence de la République qu’au sein du gouvernement de notre cher pays ».
 
 
A défaut d’espérer totalement, des raisons de ne pas désespérer
 
Vous avez dit « guerre des chefs » ? On ne peut, pourtant, pas trouver commentaire plus soft pour un départ qui a des allures de départ annoncé. Reste à savoir quel est, désormais, le mandat de Tanoh. Il n’a pas de passé politique – et (pour l’instant) pas de casseroles avérées, ce qui n’est pas le cas de beaucoup des alliés « présidentiables » de Ouattara – et se trouve être le plus grand dénominateur commun entre Bédié et Ouattara. Se prépare-t-il à être le candidat du PDCI-RDA face à un candidat RHDP (qui serait, d’abord, un candidat RDR !) ou le candidat d’union sur lequel Bédié et Ouattara peuvent s’accorder ? 
 
Il importe peu, aujourd’hui, de savoir quel sera l’avenir de Tanoh en 2020 ; ce qui importe, c’est le moment présent : son départ du gouvernement et sa « prise de position » au sein du PDCI-RDA vont-ils accentuer la fracture entre Bédié et Ouattara ou, au contraire, est-ce l’espérance d’une négociation visant leur réconciliation dans la perspective de 2020. Et, surtout, dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire qui n’a rien à gagner à une nouvelle guerre des chefs (plus encore de chefs passablement obsolètes). 
 
Il reste moins de deux ans à Ouattara pour laisser un bilan qui, aussi satisfaisant puisse-t-il être présenté économiquement, ne soit pas que l’expression d’une fracture sociale irréversible. Au cours de ses deux mandats (2010-2015 et 2015-2020), il n’aura permis que l’émergence d’un seul homme politique neuf : Thierry Tanoh. De la même façon que les années 2002-2010 ont permis l’émergence de Guillaume Soro. Tanoh est aux antipodes de Soro : tant mieux pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens. C’est ce qu’on peut dire aujourd’hui sans préjuger de ce que sera Tanoh demain et après-demain. Son parcours professionnel et son émergence politique ne sont pas sans rappeler ceux d’Emmanuel Macron en France. Ce qui, du même coup, oblige à relativiser ; sans, pour autant, refuser d’espérer… !     
 
 
 
Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)



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